On nous écrit

Halte au réductionnisme

Christian Mounir réagit à une page «Contrechamp» parue le 11 septembre sur la révolution espagnole.
Histoire

Je vous avoue avoir été un peu agacé – sans néanmoins vous en tenir la moindre «rigueur»! – par la lecture cet été d’une série d’articles («Octobre helvétique») autour de l’histoire du mouvement ouvrier suisse fondés principalement sur un ouvrage à bien des égards contestable publié chez un grand éditeur libéral. Je me permets de réagir cette fois, la coupe étant pleine pour moi en matière de distorsions, aux propos de l’historien Karel Bosco qui prétend péremptoirement ériger Staline en deus ex machina, grand responsable d’avoir «étranglé la révolution espagnole». Ni plus, ni moins. Exemple éminent de réductionnisme, stupéfiant de naïve simplification: d’un côté le grand méchant loup et de l’autre, tous les malheureux agneaux! Merci la leçon d’histoire!

Qu’il me soit permis pour ma part, sans prendre parti aucun par souci d’honnêteté intellectuelle et de quelque fidélité à la vérité historique, de proposer une vision plus nuancée et critique de la tragique déconvenue de la République espagnole. Et de dire en manière de synthèse que si la révolution espagnole a été étranglée, c’est d’abord et avant tout par elle-même, à l’instar et sur le même modèle que la Commune de Paris ou le gouvernement d’«Unité» populaire de Salvador Allende au Chili (je mets intentionnellement des guillemets à cette unité, plus souhaitée et proclamée que réelle), par leurs dissensions et leurs luttes fratricides internes. Et à cet aulne-là, il n’y avait pas de petits anges coursés par un diable, mais de tous côtés, un radicalisme dogmatique et si extrémiste et jusqu’au-boutiste, que la division a prévalu sur l’unité, fracassant ce qui aurait dû être un front uni contre l’ennemi. Ce Front populaire proclamé mais bafoué par tous! Faut-il rappeler par exemple l’affrontement pathétique à Madrid, les armes à la main entre militants de la CNT, du POUM et du Parti communiste? Comme le scandait le mouvement populaire chilien – puisque aussi bien nous commémorons le coup d’Etat fasciste du 11 septembre 1973 – El pueblo, unido, jamas sera vencido. Mais le peuple divisé, oui, sera toujours vaincu. Or, comme disait Mao Zedong, la révolution n’est pas un dîner de gala et malheureusement, l’histoire, toute l’histoire des révolutions démontre que ces luttes intestines sont inévitables et que si une force dirigeante unificatrice ne parvient pas à s’imposer, la révolution est perdue d’avance. Cette force unificatrice, en principe, ne peut vraiment s’imposer que si elle est reconnue et plébiscitée par le gros du mouvement populaire. La démocratie révolutionnaire consiste, comme toute démocratie, à accepter de se plier à une ligne et une discipline commune. Ce consensus de Front populaire n’a pas été trouvé et toutes les parties y ont dérogé, sapant par-là leurs chances de victoire!

Cette Unité a été trouvée dans la Révolution d’octobre, dont nous allons bientôt fêter le centenaire, et dans les révolutions chinoise, algérienne ou vietnamienne. Mais on sait néanmoins qu’il y eut malgré tout des irréductibles et qu’il fallut les réduire. Parfois la mort dans l’âme, comme l’admit Lénine de la répression de la révolte des marins de Kronstadt. C’est inévitablement au prix de grands et parfois immenses sacrifices que la Révolution qui souvent dévore ses propres enfants parvient enfin à s’imposer. Il convient à l’honnêteté due à la recherche de la vérité de ne rien simplifier, de renoncer aux anathèmes qui n’expliquent rien et de ne pas chercher avec angélisme quelle perfection n’aurait pas été accomplie par la faute de «l’Autre».

L’homme n’est ni ange ni bête, et qui veut faire l’ange, fait la bête nous a joliment tourné Pascal! Et accuser les autres de nos échecs ne contribue qu’à obscurcir ce qu’ils nous doivent à nous-mêmes! Le contexte tant intérieur qu’international était extraordinairement complexe et si l’on veut comprendre la vérité des événements, c’est au cœur de l’analyse de cette complexité qu’il faut la rechercher. Ensuite, secondairement, ce sont les démocraties bourgeoises qui ont aidé à l’étranglement de la République espagnole, légitime et constitutionnelle, en ne lui apportant aucun appui ni secours contre l’agression des factieux franquistes soutenus, eux à bout de bras, par les régimes fascistes italiens et allemands, et en démissionnant devant l’implication active de ces derniers. Elles l’ont payé cher par la suite. Seuls, rappelons-le pour terminer, l’Union soviétique a apporté une aide en troupes et en armes à la République espagnole contre l’agresseur franquiste!

Christian Mounir, Genève

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