Sécurité alimentaire: les enfants aussi
Tout a commencé par une poignée de riz. Quand Manju et son mari arrivent à la fin des années 1990 dans un premier village tribal de l’Odisha, – un Etat côtier de l’est indien qui compte 43 millions d’habitants et plusieurs communautés de populations tribales –, ils se rendent compte que les habitants n’ont aucune connaissance de leurs droits et ont du mal à vivre dignement du produit de leur terre. Le couple décide de passer à l’action en créant un Centre for Action Research and Documentation (Card). Mettre l’accent sur la confiance en soi et sur l’amélioration de l’alimentation ont été les axes fondateurs de l’association. Partenaire de Terre des Hommes Suisse depuis 2013, Card œuvre aujourd’hui pour les droits des femmes et des enfants de ces communautés marginalisées dans trente-deux villages en Odisha. Le projet assure la sécurité alimentaire de plus de 1000 familles.
La première initiative de l’association a été de monter des groupes de femmes qui permettent aux mères de famille de s’organiser, d’accéder au crédit, de mener ensemble des actions pour améliorer la qualité de vie de leurs enfants et pour lutter notamment contre la violence familiale. Chaque village a son groupe. Au début, faute d’argent disponible, chaque femme devait apporter aux réunions une poignée de riz. La vente de cette «épargne» a ensuite permis de lancer le fonds de microcrédit que chaque membre du groupe peut utiliser selon les besoins de la famille. Trente ans après, ça marche toujours!
L’entraide pour que chacun vive mieux
Les résultats de ces groupes de femmes sont impressionnants: les mères ont réussi à supprimer dans leurs villages la consommation d’alcool, source de violence; elles s’unissent pour obtenir davantage de droits sur leurs terrains agricoles, et sont même parvenues à faire élire au niveau des gouvernements locaux l’une des leurs! «Maintenant, on ose parler à des étrangers», nous affirme une maman, si fière du chemin parcouru grâce à son groupe dans le village de Mundila. Trente-neuf familles y vivent, au rythme de la culture du riz. La majorité est issue de la tribu Malua Kandha, qui signifie «peuple de la forêt». Si elles conservent quelques traditions ancestrales, comme des rituels pour honorer la déesse de la forêt, ces familles ont intégré les rituels hindous dans leur vie quotidienne: les femmes ont adopté certains bijoux et maquillage, et la vie du village est rythmée, tout au long de l’année, par les nombreuses festivités religieuses du pays.
Soixante-cinq tribus sont recensées dans l’Etat d’Odisha. Toutefois, bien que le gouvernement local ait mis en place un système de quotas pour permettre à ces populations marginalisées d’accéder à l’éducation et à des emplois dans l’administration, ces tribus restent discriminées, du fait de leur appartenance aux classes inférieures.
A Mundila, chaque famille est propriétaire d’un morceau de terre qui lui permet de cultiver du riz, et parfois d’installer un potager. Ce qui n’est pas le cas, par exemple, du village voisin, où la population, issue de la tribu Saara, exploite collectivement des terres et se bat encore pour obtenir un titre de reconnaissance. Le groupe de femmes y entretient une plantation de noix de cajou. Nécessitant très peu d’investissement, ces arbres plantés il y a quinze ans ont changé leur vie. Elles négocient chaque année âprement le prix de vente des noix avec des intermédiaires et distribuent les bénéfices à tous les membres du groupe. Avec cet argent, chacune participera aux dépenses liées à l’éducation ou à la santé de ses enfants.
Les groupes de femmes de chacun des trente villages se sont organisés en une fédération qui permet d’échanger sur les expériences et les bonnes pratiques, tout en menant des actions collectives d’envergure, telles que construire une route pour tel village, exiger le respect de la loi par la police locale, parvenir à la nomination d’un enseignant dans une école qui en était dépourvue.
Jusqu’à deux récoltes de riz par an
A Mundila, pendant la période de la mousson, les travaux des champs occupent les hommes et les femmes: labourer la terre, replanter les semis de riz, arracher les mauvaises herbes. Trois ou quatre mois après la plantation, la récolte pourra se faire. Les bœufs utilisés dans ce village ont été achetés par certaines familles grâce au microcrédit organisé par le groupe de femmes du village. Elles prêtent ou louent leurs bœufs aux autres familles pendant la saison des travaux. Ici, les paysans, hommes et femmes, ont été formés à la technique de culture du riz SRI (system of rice intensification) qui offre de nombreux avantages par rapport à la méthode traditionnelle: économie de graines – deux kilos sont suffisants pour un acre (environ 0,4 hectare), contre quarante kilos habituellement –, 50% de fertilisants en moins, un entretien du champ moins pénible – arrachage des mauvaises herbes facilité grâce aux rangées bien ordonnées des plants –, pour une production supérieure de 50% (25 à 30 sacs par acre, contre 18 habituellement).
Cette méthode introduite par Card depuis une dizaine d’années a maintenant été adoptée par le gouvernement local qui la diffuse dans l’ensemble de l’Etat. Une belle reconnaissance! Mais toutes les parcelles ne peuvent pas être cultivées avec ce système car l’eau ne doit pas stagner. Si la mousson est suffisante cette année, une seconde récolte de riz sera possible d’ici six mois grâce aux bassins de rétention d’eau installés autour des villages.
Grâce aux potagers familiaux qui apportent fruits et légumes variés, aux parcelles cultivées collectivement et au meilleur rendement des rizières du village, chaque famille est aujourd’hui davantage et mieux nourrie, les pères de famille ne sont plus obligés de quitter le village pour partir travailler loin et les enfants peuvent poursuivre leur scolarité de façon plus régulière.
En parallèle à l’amélioration des conditions de vie des familles, Card a mis en place un child club dans chaque village. Plusieurs fois par semaine, tous les enfants, tribaux et non tribaux, s’y retrouvent pour parler de problèmes qu’ils ont eux-mêmes identifiés et mener des actions auprès des adultes (comme convaincre le pouvoir local d’améliorer la route d’accès au village ou de réparer la pompe à eau, mais aussi empêcher les hommes de boire ou encore lutter contre les moustiques). Ils s’entretiennent régulièrement de leurs droits et abordent des sujets sensibles comme le harcèlement sexuel, le mariage précoce (avant l’âge légal de 18 ans) pour les filles, ou encore le travail des enfants. Ils se sont également donné un rôle de comité de vigilance pour signaler tout risque ou abus dans le village ou à l’école et connaissent tous par cœur le téléphone de la Child line, un numéro mis en place au niveau national pour alerter sur des cas de violations des droits de l’enfant.
Les enfants acteurs de leur vie
Les enfants discutent aussi de leurs rêves pour leur vie future: Pratima voudrait être médecin «pour soigner les enfants», le petit Muna souhaite «devenir ingénieur pour réparer et construire des voitures», Mamali espère enseigner. Tous ont bien conscience que le chemin sera long pour y arriver, car la majorité des enfants de ces villages arrêtent l’école après 15 ans – les filles pour se marier et les garçons pour travailler aux champs avec leurs parents.
Mais les choses changent. Actuellement, le child club de Mundila recherche un autre lieu d’accueil, avec un vrai espace de jeu: les enfants iront voir les représentants du village pour en discuter.
Marche de l’espoir 2017 à Genève
Terre des Hommes Suisse organise la prochaine Marche de l’espoir dimanche 8 octobre 2017, de 11h à 17h30 à Genève. Tous les participants sont invités à effectuer des kilomètres de solidarité, sponsorisés par leur entourage, en faveur d’enfants défavorisés en Odisha et ailleurs en Inde. Informations et inscription à l’avance sur le site www.marchedelespoir.ch, par téléphone au 022 737 36 28 ou sur place le jour-même, dès 9h30. CO
*Terre des Hommes Suisse.