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Des fictions subversives?

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Cet été j’ai pu voir deux fictions qui mettent en scène des femmes dans les années 1970, alors qu’elles luttent pour obtenir des droits politiques, sociaux et économiques.

La série Good girls revolt revient sur le combat des employées de l’hebdomadaire Newsweek (New of the Week dans la série) pour bénéficier des mêmes conditions de travail que leurs collègues masculins, d’après le récit d’une des protagonistes de cette histoire véridique. En 1970, Lynn Povich et d’autres employées attaquent le journal pour discrimination basée sur le sexe. Alors qu’elles détiennent plus de diplômes que leurs collègues masculins, elles sont reléguées aux fonctions de documentalistes et ne signent jamais les articles, même s’il leur arrive de les écrire. Elles sont défendues par une avocate spécialiste des droits civiques qui présente l’affaire devant une commission censée garantir une égalité de traitement au travail.

Le film L’ordre divin raconte l’histoire de Nora et d’autres habitantes d’un village du canton d’Appenzell lors de la votation sur le suffrage féminin (1971). Nora et les autres femmes cherchent à changer les mentalités et à encourager les hommes du village à accorder le droit de vote aux femmes. Le film de Petra Volpe montre avec brio comment ces femmes se sentent plus fortes en collectif et tout le plaisir qu’elles éprouvent à organiser une grève, afin d’obliger les hommes à les écouter.

Ces deux fictions sont émouvantes parce qu’elles montrent des héroïnes qui puisent dans l’organisation collective le courage de se défendre et parce que leur combat est victorieux. Cependant, le danger de ce type de fiction est qu’on peut facilement considérer que les discriminations que vivaient les femmes avant sont scandaleuses, et qu’heureusement le progrès est en marche. Mais en y regardant de plus près, on décèle des similarités entre les mécanismes de résistance que rencontrent nos héroïnes et ceux auxquels nous sommes confronté-e-s aujourd’hui.

Les héroïnes de ces deux fictions jouent les rôles de genre que leur milieu et leur époque leur ont imposés quand subrepticement elles décident de s’en émanciper et de se mobiliser. Certains hommes de leur entourage se disent favorables à leur combat et se présentent comme des alliés, jusqu’au moment où ils comprennent que la victoire des femmes risque de porter atteinte à leurs privilèges. Le mari de Nora ne veut pas qu’elle travaille parce qu’il craint pour son confort domestique. Il affirme vouloir voter en faveur du suffrage féminin, mais ne soutient pas son épouse publiquement parce qu’il a peur de la réaction des autres hommes. Il redoute manifestement que sa virilité soit remise en question. Les mêmes mécanismes se retrouvent dans la série Good girls revolt. Le compagnon de l’héroïne Patty prétend soutenir les féministes, mais il est choqué de la démarche accomplie en secret par ses collègues féminines. C’est qu’il réalise qu’une victoire de celles-ci menacerait sa position (et celles des autres hommes) au sein du journal. Le patron qui se montre favorable aux idées féministes – il propose de leur consacrer un dossier dans son hebdomadaire – ne veut pas changer l’ordre des genres dans sa rédaction. Même s’il admet que le papier sur le féminisme doit être écrit par une femme, il décide de le confier à une journaliste externe plutôt qu’à une de ses employées pourtant parfaitement qualifiées. Les uns comme les autres sont d’accord sur le fond, mais incapables de changer leurs routines quotidiennes, de remettre en question leur confort (domestique) et leurs privilèges.

La posture d’alliés à laquelle les hommes prétendent parfois demande un effort de remise en cause de soi, de ses comportements et de ses réflexes de dominants, comme l’a très bien expliqué Irène Pereira dans une récente chronique.I. Pereira, «De la fragilité des privilégiés à la posture d’allié-e», Le Courrier, 4 août 2017.

Par ailleurs, la réaction de défense des hommes que l’on voit dans ces deux exemples rappelle la démarche des mouvements masculinistes. Regroupés sous différentes associations, les masculinistes défendent les privilèges masculins. Parmi leurs thèmes de prédilection, on trouve la cause des hommes battus, les droits des pères ou encore le syndrome d’aliénation parentale.voir: https://stop-masculinisme.org/

Le potentiel subversif de Good girls revolt n’a sans doute pas échappé aux responsables de la chaîne Amazon qui ont décidé de ne pas programmer une deuxième saison de la série malgré l’immense succès qu’elle a rencontré et l’accueil favorable que lui a réservé la critique. Dommage! Car les femmes d’aujourd’hui doivent encore lutter pour l’égalité!Voir «Brutalités au foyer en hausse», Le Courrier, 13 juin 2017. Et «La loi sur l’égalité boudée au travail», Le Courrier, 15 juin 2017.

Opinions Chroniques Alix Heiniger

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lundi 15 janvier 2018

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