Enfants victimes des migrations
Une multitude d’habitants, une biodiversité parmi les plus riches au monde, de magnifiques paysages des flancs de l’Himalaya aux plages du Sud, un havre de spiritualité avec presque autant de divinités que de temples, une cuisine délicieuse, une production littéraire et scientifique impressionnante, des films, des danses, de la musique… mais aussi la pauvreté. Ces images sont peut-être celles qui vous viennent à l’esprit lorsque vous pensez à l’Inde. Elles témoignent d’une caractéristique de ce pays: ses contrastes. L’histoire de l’Inde, c’est comme les deux faces d’une même pièce de monnaie. D’un côté la croissance, le développement, le luxe; de l’autre, les disparités, les exploitations et le dénuement.
L’Inde est la plus grande nation démocratique du monde. Septième puissance économique mondiale, la croissance du pays témoigne de son dynamisme. Mais derrière cette tendance positive se cachent de sombres réalités. Plus de 250 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté (soit 20% de la population indienne) et 1% des nantis possèdent 54,4% de la richesse du pays. Ces disparités ne sont pas uniquement économiques, mais également religieuses et sociales, et de nombreux pas restent à faire pour assurer équité et justice à la majorité de la population. Le Bharatiya Janata Party (BJP) du Premier ministre Narendra Modi, élu en 2014, se positionne comme libéral en matière économique mais s’inscrit dans une tendance nationaliste hindoue, ce qui suscite des craintes au sein des minorités. Car une autre caractéristique fondamentale du pays est sa diversité – en matière notamment de cultures et de croyances – et le constat que l’essentiel des Indiens veulent vivre en harmonie et en paix.
Sur les 444 millions d’enfants en Inde, un tiers vit en dessous du seuil de pauvreté, un tiers est affecté par la malnutrition et près de 20 millions ne sont pas scolarisés. L’Inde compte la plus grande population d’enfants travailleurs au monde. Par ailleurs, encore au XXIe siècle, le pays continue à préférer les garçons aux filles, ce qui se traduit par une inversion du ratio filles-garçons (lire ci-contre). La liberté et les possibilités d’étudier sont plus limitées pour les filles et le mariage précoce est une pratique qui perdure.
Si le gouvernement indien a légiféré pour assurer une protection aux enfants (interdiction de travailler pour les moins de 14 ans, scolarisation obligatoire de 6 à 14 ans), l’obtention effective d’aides sociales ou l’accès aux services de l’Etat restent difficiles pour les groupes les plus marginalisés. Au rang des ONG et des associations qui se mobilisent sur le terrain, Terre des Hommes Suisse, active en Inde depuis plus de trente ans, a développé un programme qui regroupe neuf partenaires locaux et compte plus de 46 000 bénéficiaires directs, dont près de la moitié sont des enfants.
Protection contre les violences et les risques liés à la migration
Le phénomène de migration à l’intérieur du pays concerne 10 millions de personnes, dont 10% d’enfants qui accompagnent leurs parents. Alors que près des trois-quarts de la population réside en zone rurale, nombreux sont ceux qui, seuls ou avec leur famille, partent vers les villes, de manière saisonnière ou définitive, avec l’espoir de trouver un travail leur permettant de subvenir à leurs besoins alimentaires. Beaucoup de migrants, surtout ceux qui déménagent dans un endroit où la langue et la culture locale est différente de celle de leur région d’origine, sont confrontés à de nombreux défis, tels que l’accès à des papiers d’identité, aux droits sociaux, ou encore au logement.
Ces flux provoquent la violation de nombreux droits de l’enfant, à commencer par la déscolarisation et le travail forcé. Les enfants sont amenés à travailler malgré la loi pour rapporter un revenu à leur famille.
Le travail de Terre des Hommes Suisse et de ses partenaires locaux a permis, ces dernières années, de créer des conditions de migration plus sûres au sein des communautés cibles. En effet, si la migration reste un droit, des alternatives de génération de revenu dans les villages d’origine ainsi que les conditions de migration ont été améliorées pour assurer une meilleure protection des enfants et des jeunes.
Concrètement, des comités de protection ont été mis en place dans les villages bénéficiaires, qui ont permis d’éviter des mariages précoces et de maintenir les filles dans leur scolarité. Les communautés ont intégré la différence entre «migration sûre» et «migration à risques». Enfants et jeunes jouent d’ailleurs un rôle essentiel dans le relais de ce message. L’un des outils de cette lutte est constitué par la «Migration Card», véritable carte d’identité du migrant qui lui permet d’avoir un statut lui facilitant l’accès aux aides sociales.
Lutte contre les pires formes de travail et droit à l’éducation
Au plan national, les efforts gouvernementaux ont permis d’augmenter l’accès à la scolarisation de base, mais les taux de déperdition restent très élevés. En Inde, le travail des partenaires de Terre des Hommes Suisse dans le domaine du droit à l’éducation s’inscrit principalement dans la lutte contre les pires formes de travail, et vise à maintenir les enfants à l’école. Ainsi, durant ces quatre dernières années, plus de 7820 enfants ont pu acquérir des compétences nécessaires à la construction de nouvelles perspectives de vie.
Cette démarche s’inscrit principalement dans un appui aux groupes de femmes (Self help groups) ainsi que dans un accès adapté à l’éducation de base et professionnelle pour les enfants exposés au risque de déscolarisation. Parallèlement, la promotion de la participation infanto-juvénile est renforcée. Le but: promouvoir une citoyenneté active des enfants qui prennent une part grandissante dans les décisions les concernant.
Droit à une alimentation adaptée et de qualité
Selon le Programme alimentaire mondial, la situation nationale reste difficile, avec 43% des enfants de moins de cinq ans qui sont mal nourris. Le travail des partenaires de Terre des Hommes Suisse passe essentiellement par l’amélioration et la diversification de la production agricole dans une optique agro-écologique.
Les changements sont perceptibles quantitativement et qualitativement. Au total, 1340 familles ont ainsi amélioré leurs productions et généré des revenus supplémentaires grâce au système de riziculture intensive et à la diversification de leurs cultures (légumes, champignons, etc.). Elles ont acquis des connaissances complémentaires en nutrition et la sécurité alimentaire de plus de 6965 enfants est ainsi mieux assurée.
L’Inde: un magnifique pays en plein essor, mais avec de telles poches de pauvreté et d’exclusion que la situation des plus vulnérables, au premier rang desquels les enfants, reste préoccupante. D’où la nécessité d’agir de façon concertée, en tant qu’ONG, avec les associations locales comme avec les autorités, pour impulser des changements réels et durables qui permettent aux enfants de s’épanouir et de grandir dignement. I
L’INDE EN CHIFFRES
Avec une population estimée à 1,3 milliard d’habitants, l’Inde est le deuxième pays le plus peuplé au monde et comprend environ un cinquième de la population mondiale. Si l’hindi est la langue nationale du pays, l’anglais est considéré comme une langue subsidiaire, et on peut compter encore vingt-et-une langues officielles parmi les plus de 4000 langues et dialectes parlés sur le territoire.
La scission du pays par la création d’un Etat pakistanais pour les musulmans d’Inde consécutive à l’indépendance de 1947 a mené à une homogénéisation religieuse. Aujourd’hui, l’Inde est composée à 79,8% d’hindous, 14,2% de musulmans, 2,8% de chrétiens, 1,7% de sikhs et 0,7% de bouddhistes.
L’Inde connaît une forte croissance économique depuis une trentaine d’années, notamment grâce à l’essor de son industrie de la technologie et de l’ingénierie. Mais cette croissance ne profite pas à tous et la répartition inégale des richesses plonge 21% de la population sous le seuil international de pauvreté, fixé à 1,90 US dollars par jour. Le pays est classé au 154e rang sur 195 pays (selon l’Indice de développement humain).
Nombre de personnes restent marginalisées. Bien que la discrimination basée sur le système des castes soit interdite, cette tradition se perpétue dans les faits. Environ 25% du peuple indien est catégorisé comme étant «hors-caste», soit tout en bas de l’échelle sociale, et la mobilité réduite entre les castes empêche de sortir de cette situation précaire.
L’inégalité entre les hommes et les femmes reste par ailleurs persistante. Elle est caractérisée par un taux de fœticide féminin élevé, qui conduit à un déséquilibre dans le ratio entre les sexes: on compte environ 109 hommes pour 100 femmes dans le pays. Dès l’enfance, contrairement aux garçons, beaucoup de fillettes sont contraintes de travailler ou interdites d’aller à l’école, ce qui est reflété dans le taux d’alphabétisation de 70% pour les hommes contre seulement 61% pour les femmes. Même si l’âge légal du mariage est fixé à dix-huit ans pour les femmes (vingt-et-un ans pour les hommes), 18,2% d’entre elles sont encore mariées avant quinze ans et 47,4% avant dix-huit ans, ce qui participe notamment à la déscolarisation des filles.
On estime que 67,3% de la population indienne vit en campagne, dans une situation précaire, dépendant majoritairement de l’agriculture de subsistance. Le soutien aux villages ruraux en termes de services et d’infrastructure est souvent marginalisé. A noter par exemple qu’en ville, 62,6% de la population dispose d’installations sanitaires améliorées contre seulement 28,5% en campagne. Les problèmes de sécurité alimentaire et les rêves de meilleures opportunités ont provoqué une forte croissance de la population urbaine. En conséquence de l’incapacité des villes à intégrer ces nouveaux venus, 24% de la population urbaine vit en bidonville, soit environ 100 millions de personnes, et ce chiffre atteint jusqu’à 42% à Mumbai, la ville la plus peuplée du pays. C.R. et A. G.
* Terre des Hommes Suisse (TdHS).