Valider les traitements non brevetables: un défi
Deux plantes africaines, consommées en Europe depuis cent ans mais un peu oubliées, se révèlent des antihypertenseurs efficaces. L’Hibiscus sabdariffa (ou bissap) et le Combretum micranthum (ou kinkéliba) rivalisent, selon de récentes études cliniques comparatives, avec les traitements standard pour réguler la pression artérielle. Pourquoi a-t-il fallu tant de temps pour valider ces deux plantes antihypertensives?
La réponse est à chercher du côté de l’économie et des politiques de la santé. Ces produits ne sont pas brevetables, car d’usage traditionnel, donc aucune machinerie de lancement pharmaceutique n’est à espérer. Et les études de validation ont été menées dans des institutions peu connues, au Mexique et au Sénégal1 value="1">Sidy Mohammed Seck (et collègues): Antihypertensive efficacy of combretum micranthum and hibiscus sabdariffa: a randomized controlled trial versus ramipril. Nephrol Dial Trans 2016.. Comment retrouver et diffuser les traitements qui auraient été un peu trop vite oubliés? Peut-on envisager dans le domaine médical le développement d’un «social business» comme l’appelait au Bangladesh Muhammad Yunus, Prix Nobel d’économie? Une économie hors brevets avec des bénéfices en termes de santé pour tous?
Une expérience est en cours actuellement en Suisse. Des comprimés à base de bissap et de kinkéliba2 value="2">Sous le nom de Hibissap et Mikéliba. sont vendus dans quelques pharmacies pour aider à soigner l’hypertension. Les revenus serviront à financer une étude clinique qui démarre cet été à l’université Gaston Berger à Saint-Louis du Sénégal. Soutenue par la Fondation Antenna à Genève, l’étude est menée conjointement par des stagiaires et civilistes suisses ainsi que par des thésards sénégalais. Elle permettra de savoir si bissap et kinkéliba peuvent être combinés dans le traitement des hypertensions résistantes.
Financer la recherche d’utilité publique par la vente de remèdes naturels validés? L’idée n’est pas venue du think tank de quelque institut global… mais du Mali. Au début des années 2000, la Faculté de médecine et pharmacie de Bamako constatait que de nombreuses plantes sont utilisées contre le paludisme. La question était: «Y a-t-il des recettes meilleures que d’autres?» A question simple réponse difficile. Il a fallu commencer par une vaste enquête de population, pour analyser les corrélations entre traitements et résultats rapportés. Parmi une soixantaine de plantes citées, une certaine Argemone mexicana, sorte de coquelicot pantropical, sortait du lot. Le test crucial en médecine moderne, l’essai randomisé contrôlé, a montré des taux de guérisons similaires sous argémone ou sous traitement standard pour des habitants de zone impaludée. Le Département des médecines traditionnelles de l’université de Bamako a fait de l’argémone un «médicament traditionnel amélioré», dont la vente finance d’autres projets de recherche semblables. Ce procédé a aussi inauguré un nouveau partage de bénéfices avec les détenteurs de savoirs traditionnels: ce qui est gagné, c’est de l’autonomie en santé pour tous.
Ainsi, qu’il s’agisse du paludisme dans des régions où il est endémique ou de l’hypertension qui nous concerne plus directement en Suisse, on peut observer le même phénomène: un produit issu des expériences d’une population, et ensuite validé selon des critères de la recherche moderne, permet d’entrer dans un cercle vertueux. Ce commerce à but social d’un nouveau type permet de contourner les insuffisances de notre système de santé en matière de recherche sur des produits non brevetables et aboutit à un appréciable service médical rendu3 value="3">Pour le détail de ces expériences: www.antenna.ch/fr/activites/medecines/diabete-hypertension/.
Notes
* Médecin spécialiste en prévention et santé publique.