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La santé en libre service sert-elle vraiment l’autonomie du patient?

À votre santé!

La manière d’appréhender sa santé est le reflet de la société. Il ne fait pas de doute qu’en cinquante ans, des modifications majeures se sont opérées, liées à une meilleure information et à la volonté de plus en plus affichée d’instaurer une relation de partenariat entre le patient et le soignant, abandonnant peu à peu la médecine paternaliste. Ceci est allé de pair avec une meilleure formation globale de la population et avec une désacralisation salutaire du médecin.

Mais, depuis vingt ans surtout, de nombreuses thérapies et autres formes de coaching sont apparues, liées à l’idée largement diffusée que l’individu est «maître de sa santé» (en faisant totalement omission des déterminants sociaux et environnementaux pourtant clairement démontrés) pour rester en forme, pour lutter par tous les moyens contre le vieillissement – vu en lui-même comme une maladie –, et en cherchant des remèdes pour rester compétitif et supprimer tout désagrément, ressenti comme un frein à l’épanouissement individuel.

La diffusion du numérique joue un rôle important, permettant l’accès immédiat pour l’ensemble de la population à un nombre considérable d’informations depuis son Smartphone, outil que chacun a maintenant dans sa poche. Mais cela va plus loin, car de nombreux tests et thérapies, disponibles et livrés à domicile, permettent de s’auto-diagnostiquer et de s’auto-traiter.

Cela poserait moins de questions si ce qui était proposé répondait à des principes de santé publique bien établis, ou au moins s’appuyait sur des données vérifiables. Malheureusement, «ce qui intéresse les acteurs du numérique, en médecine comme ailleurs, ce n’est plus la statistique, mais l’analyse en temps réel du flux de données», comme le rappelait récemment Bertrand Kiefer, médecin et rédacteur en chef de la Revue médicale suisse. Ceci dans le but de saisir les «besoins» des gens et leur fournir «la réponse» dans une perspective commerciale. Il ajoutait que «tout de nous peut être analysé et l’est déjà», mais «c’est de moins en moins au service de la société: pour l’essentiel, c’est privatisé».

Aux Etats-Unis, un kit de détection de maladies héréditaires, autorisé en début d’année par les instances publiques, est maintenant accessible sur internet et cela a été fait «pour que le consommateur ait plus de responsabilité pour sa santé et plus de pouvoir de prendre réellement certaines décisions», selon le fabriquant.

Quel sens a tout cela? Sommes-nous en meilleure santé pour autant? Deux situations récentes rencontrées dans ma pratique montrent, à mon avis, les limites et peut-être les dangers de ce système.

D’abord l’histoire de cette petite fille charmante qui présente des difficultés scolaires, mal définies malgré différentes investigations, et pour laquelle les parents ont consulté un nutritionniste (sur la base de son site internet) qui a prescrit lui-même des examens très chers et non validés. Il recommandait un régime très draconien et contraignant pour la «guérir» de ses troubles. Dans la mesure où les résultats écrits parlaient d’intolérance, ils faisaient foi, sans que les parents puissent remettre en question le test en lui-même. Après une longue discussion (intervenue presque par hasard, dans la mesure où je n’avais pas été associé à la démarche), on a pu convenir d’un changement de diète tout en ne compliquant pas trop la vie de cette fillette – en validant l’attitude des parents mais en la nuançant, dans un partenariat éclairé. Ceci a pu être fait parce qu’il y avait probablement un rapport de confiance établi depuis des années.

L’autre histoire est celle d’un couple qui se déchire. Cela pousse le père à faire, en cachette, un test de «paternité» commandé sur internet et qui montre qu’il n’est pas le père de son enfant… je vous laisse imaginer la suite. L’intérêt de l’enfant a eu de la peine à être préservé. Encadrée d’emblée, la situation aurait probablement pu évoluer différemment.

Ceci suggère que le «libre-service en santé» n’améliore pas forcément l’autonomie, peut parfois avoir des effets délétères et, devant le foisonnement des propositions thérapeutiques, rend le choix éclairé difficile. Il est en revanche un marché juteux pour de nombreux acteurs. Il peut parfois laisser songeur, en constatant la crédulité des gens. Et c’est peut-être l’une des tâches du médecin de premier recours d’en discuter avec son patient, dans une attitude d’accompagnement et de non-jugement.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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