Hier les Juifs, aujourd’hui les mineurs non accompagnés
Ce titre va vraisemblablement apparaître aux yeux des tièdes et des bien-pensants comme outrageant, excessif et déplacé, dans tous les cas inutilement provocateur et mal seyant! Pourtant, le secrétaire d’Etat aux migrations (SEM), Mario Gattiker, n’a pas une attitude très différente sur le fond de celle d’Heinrich Rothmund, fondateur et directeur pendant plus de trente ans de la Police fédérale des Etrangers au siècle dernier. L’un et l’autre ont appliqué ou appliquent sans états d’âme une politique de renvoi de personnes en détresse cherchant à entrer en Suisse pour y trouver une protection.
Bien sûr, la période historique n’est pas la même et les Juifs interdits d’entrée en Suisse depuis août 1938 sur la base de la directive Rothmund risquaient l’arrestation, la déportation et la mort. L’attitude pleutre et immorale de la Suisse a depuis fait l’objet d’études, de publications et de débats. On le sait. Mais qu’en a-t-il été appris, assumé, changé?
La politique suisse en matière d’asile et d’immigration est au cœur d’un conflit récurrent entre les forces sociales solidaires et les autorités helvétiques et, cela, depuis des décennies – comme il en va d’ailleurs de même dans toute l’Europe, aux Etats-Unis et en Australie. La situation s’est fortement tendue depuis le début des années quatre-vingts avec les durcissements successifs des pratiques et des législations fédérales sous la pression des ukases réitérés des organisations xénophobes, l’UDC au premier chef.
L’aggravation terrible des répressions et des violations concomitantes des droits humains dans les régimes dictatoriaux, la multiplication des guerres dont les civils sont les premières victimes et la misère endémique résultant du mal-développement poussent de plus en plus de gens à quitter leur pays pour chercher une protection, un refuge, la plupart du temps dans une fuite Sud-Sud et, pour quelques centaines de milliers d’entre eux seulement, en Europe.
C’est dans ce contexte global qu’il faut appréhender la grave situation qui se développe depuis quelques mois à la frontière entre la Suisse et l’Italie dans la région de Chiasso/Côme. En particulier, l’attention se focalise sur les centaines de mineurs non accompagnés (MNA) dont la fragilité est plus grande encore que celle des autres réfugiés du fait de leur âge et de leur isolement. Sans le faire aussi radicalement et violemment que la France dans la région de Ventimiglia/Menton, la Suisse a, dans les faits, fermé pratiquement sa frontière aux réfugiés venant d’Italie, et principalement aux mineurs.
La grande majorité de ceux-ci sont ainsi appréhendés par les gardes-frontières suisses et rapatriés illico presto sous escorte en Italie. A tel point qu’une trentaine de députés italiens, dont la députée de Côme, ont saisi les autorités italiennes afin qu’elles interpellent leurs homologues suisses sur cette manière inacceptable de fuir leurs responsabilités et de se défausser sur l’Italie au nom de la réglementation Dublin1 value="1">Lire Le Courrier du 25 janvier 2017.. Interpelé à ce sujet, Mario Gattiker, le patron du SEM, esquive la réponse sur le fond et se contente de dire que cela est conforme à la législation helvétique, ce qui est d’ailleurs contesté par l’Organisation suisse d’aide au réfugiés (OSAR)2 value="2">Lire Le Courrier du 24 janvier 2017.! Il se félicite par ailleurs de l’accord (liberticide et illégal) passé entre l’Union européenne et la Turquie le 18 mars 2016, qui bloque les exilés dans la dictature d’Erdogan, et du fait que l’Italie enregistre les réfugiés de façon plus systématique, ce qui permet «d’appliquer efficacement l’accord Dublin» et donc de refouler plus de gens en Italie. Ainsi, le reconnaît-il presque fièrement, la Suisse fait «davantage de transferts que tous les pays européens»!
Mario Gattiker, qui fut dans une vie antérieure responsable du service juridique de Caritas-Suisse, a sans doute «classé sans suite» la convention internationale relative aux droits de l’enfant et quelques autres dispositions impératives du droit international public. Il ne frémit pas devant l’inhumanité et la violence d’Etat et accomplit avec zèle sa tâche de bureaucrate de l’infamie. Comme Rothmund en son temps. Y aura-t-il un nouveau Grüninger au Tessin?
Notes
* Animateur en éducation populaire.