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Le harcèlement de rue: l’aménager ou l’éradiquer?

ENTRE SOI.E.S

En janvier 2016, Léonore Porchet (Les Verts-VD) déposait une interpellation à la Municipalité de Lausanne sur le harcèlement de rue subi par les femmes. Le rapport de l’enquête qui en a suivi a permis de faire la lumière sur une réalité quotidienne qui n’avait jusqu’ici jamais vraiment été reconnue par les autorités. Pourtant, depuis les années 1970, sous des slogans tels que «Femmes, prenons la nuit», de nombreuses organisations féministes n’ont cessé de dénoncer ces pratiques1.

Le harcèlement de rue, ce sont les comportements adressés aux personnes dans les espaces publics, visant à les interpeller verbalement ou non, de façon intimidante, insistante, irrespectueuse, humiliante, menaçante et/ou insultante, en raison de leur sexe, de leur genre ou de leur orientation sexuelle. En sont principalement victimes les femmes et les personnes LGBTIQ. Quant aux agresseurs, ils sont dans l’immense majorité des hommes, toutes classes et origines confondues. Le harcèlement de rue provoque un sentiment d’insécurité à deux facettes: la peur concrète de subir des agressions sexuelles, couplée au rappel, plus symbolique, que les femmes n’ont pas la même légitimité à exister dans le dehors.

A Lausanne, les mesures proposées pour lutter contre le harcèlement de rue par Pierre-Antoine Hildebrand (PLR-VD), municipal en charge de la Sécurité et de l’Economie, visent principalement à une sécurisation de l’espace public: renforcer la présence policière sur les lieux dits à risque, «réfléchir sur le développement de trajets nocturnes sécurisés» et «améliorer l’éclairage public». Si ces propositions semblent fournir une réponse concrète aux véritables risques d’agressions, elles comportent des aspects plus problématiques.

Dans le combat contre le harcèlement de rue, on peut en effet distinguer les mesures selon qu’elles œuvrent à un accès réel des femmes à l’espace public ou qu’elles créent des espaces dits sécurisés. En d’autres termes, remet-on en question le sexisme, ou rappelle-t-on simplement aux femmes leur vulnérabilité, en renforçant le dehors comme espace «femina non grata»?2 Trajets balisés, lampadaires parce-que-la-nuit-ça-fait-peur, beaucoup de policiers et quelques policières: dans les mesures qu’elle avance, la Municipalité de Lausanne semble avoir choisi son camp.

On peut par ailleurs s’interroger sur la manière dont les autorités vont identifier ces fameux lieux d’insécurité. Depuis quelques années, et malgré les nombreuses protestations des féministes, les médias francophones ont tendance à associer le harcèlement de rue aux hommes étrangers ou racisés. Lorsqu’on combine cette perception raciste aux mesures populistes mises en place par la Ville de Lausanne contre le deal de rue, on peut prévoir que la présence policière sera simplement augmentée dans des lieux où elle est déjà extrêmement active. Ainsi, le harcèlement, parfois un peu plus châtié mais tout autant insécurisant, subi dans d’autres zones a encore de beaux jours devant lui. Et le délit de faciès aussi.

Finalement, la Municipalité propose tout de même de lancer une réflexion sur la «sensibilisation et la prévention» et d’«améliorer la collaboration avec les acteurs publics, parapublics et privés». Bien. Tout cela reste très vague et paraît ignorer que le matériel pour travailler en profondeur sur le sexisme existe. Par ailleurs, un travail de long-terme sur le harcèlement de rue doit sortir de la vision individualiste «agresseur-victime» pour questionner les rapports de domination qui le sous-tendent. Il faut s’atteler à déconstruire l’idéologie selon laquelle il est normal d’aborder et d’importuner une femme dans la rue, en luttant contre toutes les sortes de harcèlement de rue. Car on ne se fait pas interpeller de la même manière si l’on porte un voile, si l’on est une femme trans*3 ou si l’on donne la main à sa copine dans la rue. La publicité sexiste, qui permet à certains de se faire beaucoup de blé sur la culture du viol, ne devrait pas non plus être laissée de côté.

Face aux mesures répressives proposées par les autorités lausannoises, restons vigilantes. Ce n’est pas un seul type d’harcèlement de rue qui doit être appréhendé, mais la multitude de ses manifestations. Des mesures efficaces devraient prendre en compte cette complexité, faute de quoi on risque de stigmatiser certaines populations déjà précaires et de déresponsabiliser une grande partie des agresseurs. «La violence des hommes, on veut pas l’aménager, on veut l’éradiquer»4.

*Djemila Carron et Marlène Carvalhosa Barbosa sont Chercheuses en sciences juridiques et sociales.

1 Pour des exemples locaux actuels, voir par exemple la Slutwalk Suisse.

2 Pour une analyse plus complète des politiques de sécurité visant à lutter contre les violences faites aux femmes et leur rapport avec l’espace public, voir les travaux de Marylène Lieber et de Caroline Dayer.

3 Le terme «personnes trans*» recouvre les personnes dont l’identité de genre s’écarte des attentes traditionnelles reposant sur le sexe qui leur a été assigné à la naissance.

4 Slogan de la marche de nuit féministe du 14 juin 2008 à Paris.

Opinions Chroniques Djemila Carron et Marlène Carvalhosa Barbosa

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lundi 8 janvier 2018

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