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L’histoire du hacker hacké

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Si l’Europe a les yeux rivés sur le drame d’Alep et la difficile évacuation des populations civiles, largement dus au non-respect des accords par la mouvance Al-Qaida, les Etats-Unis, eux, vivent au rythme des accusations de la CIA contre le supposé hacking électoral russe. Les Américains semblent avoir déjà passé la Syrie par pertes et profits et sont désormais entièrement concentrés sur la passation de pouvoir entre Obama et Trump. On aura noté qu’entretemps, on ne parle plus des bombardements contre la population de Mossoul et du million de civils qui sert de bouclier humain aux combattants de Daech. Et encore moins des innocents qui meurent sous les bombes saoudiennes au Yémen. Au contraire, à Mossoul, on vante chaque progrès des valeureux «libérateurs» de la ville. Après tout, chacun n’a-t-il pas le droit de choisir ses héros, ses compassions et ses indignations, bien que les combats qui ravagent la Syrie et le nord de l’Irak soient pourtant dus aux mêmes causes, aux mêmes ennemis, aux mêmes stratégies suicidaires?

Mais revenons aux Etats-Unis. Au fur et à mesure qu’on se rapprochait de la date de l’élection de Trump par les grands électeurs, qui était la dernière chance pour le clan démocrate de renverser le cours des choses, on a vu croître l’hystérie contre le hacking des serveurs démocrates et le piratage de la boite mail du chef de la campagne d’Hillary Clinton, John Podesta. La CIA, le Washington Post, le New York Times, les ténors du parti démocrate ont mené une campagne de presse d’une violence sans précédent jusqu’ici dans une élection pour tenter de changer le destin et convaincre les grands électeurs de tourner leur veste. Même le président Obama, qui avait jusque-là montré une certaine hauteur, a cru bon devoir descendre dans le marécage pour suggérer que «Poutine avait lui-même donné l’ordre de hacker les serveurs» des grands partis américains pour influencer la campagne en faveur de Trump.

Un premier assaut avait déjà été tenté juste après l’élection lorsque Jill Stein, la candidate écologiste, avait demandé un recomptage des voix dans trois Etats. Les médias qui avaient soutenu Hillary avaient alors abondamment commenté la manœuvre. Sans aucun succès puisque dans un Etat, le recomptage avait accentué l’avance de Trump d’une centaine de voix et que les juges avaient jugé le recomptage inutile et dispendieux dans les deux autres Etats litigieux.

Il fallait donc trouver une autre cible: les hackers russes, de connivence avec Julian Assange et Wikileaks, à qui ils auraient transmis le contenu des mails de John Podesta et d’Hillary Clinton, révélant aux Américains atterrés que les démocrates avaient insidieusement tronqué les primaires en faveur d’Hillary et que celle-ci trompait son monde suivant qu’elle s’adressait à ses électeurs ou à ses donateurs de Wall Street. Opération jugée gagnante à tous les coups puisqu’elle aurait permis de discréditer à la fois Trump, la Russie et les lanceurs d’alerte qui, de Wikileaks à Edward Snowden, ne cessent de dénoncer les dérives des services de renseignements américains.

Gageons que le soufflé retombera aussitôt que les grands électeurs auront confirmé l’élection de Donald Trump et que celui-ci sera entré en fonction. Mais entretemps, que de dégâts n’auront pas été infligés au fonctionnement du processus électoral, à la nécessité de rassembler le pays et ses alliés, et surtout à l’urgence de mettre fin à l’accélération criminelle des tensions internationales à laquelle on assiste depuis trois ans. Et quel crédit peut-on accorder aux Etats-Unis, qui se posent volontiers en modèle de la démocratie et des droits de l’Homme, si leur président en charge conteste lui-même la victoire de son opposant: comment faire la leçon aux dirigeants d’Afrique et d’Asie qui contestent le résultat de leurs élections pour mieux s’accrocher au pouvoir?

Personne ne sait si les Russes sont à l’origine de ce hacking électoral et il y a fort à parier qu’on ne le saura jamais. On ne tardera pas à oublier cette histoire, comme on s’est dépêché d’oublier les autres tentatives de manipulation électorales avortées. Mais si la responsabilité russe devait être avérée, on aurait alors assisté à la plus belle histoire de hacker hacké du siècle. Souvenez-vous en effet comment, en 1996, les équipes du président Bill Clinton avaient torpillé les élections russes pour favoriser l’élection de leur candidat, Boris Eltsine, contre le favori, le communiste Ziouganov. Dans une excellente enquête publiée le 15 juillet 1996, le correspondant de Time Magazine à Moscou, Michael Kramer, avait abondamment documenté la manière dont les services du président démocrate avaient manipulé les sondages et les groupes cibles, suscité des candidatures de traverse, abusé des grandes chaines de télévision et des principaux médias, alors en main des oligarques proches d’eux, soudoyé les partis, et usé de toutes les techniques d’influence possibles pour imposer un candidat rejeté par une large majorité des électeurs russes…1 value="1">Michael Kramer/Moscow, «Rescuing Boris», Time, July 15, 1996, http://content.time.com/time/subscriber/article/0,33009,984833,00.html Nul doute que tant à Moscou que dans les cercles de Washington proches du clan Clinton, on se souvient encore de ce triste épisode. I

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Guy Mettan est le directeur du Club suisse de la presse.

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lundi 8 janvier 2018

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