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Mettre le néolibéralisme à nu

Université populaire nomade de la culture, La Marmite (lamarmite.org) fera halte le 9 décembre à 20 h au Théâtre de Carouge. Pour l’occasion, elle accueillera un sulfureux philosophe et sociologue italien, Maurizio Lazzarato, sur le sujet de «La condition néolibérale».
Culture

Rattaché à l’Université Paris 8 et membre du Collège international de philosophie, Lazzarato analyse notre temps dans ses multiples dimensions en puisant parfois concepts et analyses chez de prestigieux devanciers; on relèvera ainsi, dans son panthéon personnel, une figure attendue: celle de Marx, dont il corrige la pensée en s’appuyant sur celle de Foucault. Foucault lui-même est travaillé à travers les relectures critiques de Deleuze et Guattari. Un deuxième cercle d’influences suit l’orbite spinozienne et, en sociologie, celle des travaux originaux et par trop méconnus de Tarde et Simondon. Plus surprenant, Lazzarato se nourrit, enfin, à des sources ordinairement rattachées à la tradition réactionnaire: von Clausewitz, Nietzsche et Schmitt.

Comme en témoigne sa bibliographie, ses recherches portent sur des aspects a priori très divers: Puissances de l’invention (2002), Les révolutions du capitalisme (2004), Le Gouvernement des inégalités (2008), avec l’économiste Antonella Corsani, Intermittents et précaires (2008), Expérimentations politiques (2009), La Fabrique de l’homme endetté (2011), Gouverner par la dette (2014), Marcel Duchamp et le refus du travail (2014) et, ces dernières semaines, une forte somme rédigée avec le philosophe de l’esthétique Eric Alliez, Guerres et Capital (2016). Des aspects a priori très divers, écrivons-nous plus haut: en effet, qu’est-ce qui peut bien unir l’intermittence, la dette, les guerres et Duchamp? Le néolibéralisme, pardi! et ce qui doit nous en délivrer… Publication après publication, notre auteur articule ces multiples dimensions avec brio.

Alors que certains nient toute spécificité néolibérale, pour Lazzarato, nous sommes bien entrés dans une phase nouvelle du capitalisme; celle-ci s’est ouverte avec le tournant monétariste de l’administration américaine et de la Réserve fédérale qui, dans la bascule des années 1970-80, ont épongé largement l’épargne pour la rediriger vers le financement de l’économie via la bourse – éliminant ainsi la séparation traditionnelle entre capital et travail. Cette liaison entre l’épargne des travailleurs et les processus de transformation-restructuration capitalistes a eu des conséquences majeures: alors que la relation capital/travail était devenue – au cours de la parenthèse libérale-keynésienne – le cœur de la vie économique, un autre tandem s’impose à présent: le couple créancier/débiteur.

Cependant, pour l’intellectuel italien comme pour ses inspirateurs Deleuze et Guattari: «Le capitalisme n’a jamais été libéral, il a toujours été capitalisme d’Etat.» Dans la crise, les néolibéraux n’essayent pas de gouverner le moins possible, mais au contraire, soutient l’invité de La Marmite, de tout gouverner: d’orienter nos conduites, nos loisirs comme nos imaginaires. Or, loin d’être conjoncturelle, «la crise est la modalité de gouvernement du capitalisme contemporain» – une modalité chevillée sur un principe régulateur qui n’a rien de spontané: la concurrence.

Maurizio Lazzarato fait des intermittents français du spectacle les travailleurs archétypaux de la nouvelle condition libérale. Bien que totalement insuffisant, le régime d’indemnisation chômage des artistes voisins est remarquable car sous-tendu par une logique mutuelliste. Désormais les syndicats patronaux s’acharnent à substituer à ce principe celui de la capitalisation individuelle – quitte à ce que le nouveau régime s’avère plus coûteux. De fait, l’enjeu est moins économique que politique: il s’agit de dresser le «capital humain», de faire de chacun l’entrepreneur de lui-même.

Quid des guerres? Quid de Duchamp et de l’étonnante alternative qu’il représente – une alternative que Lazzarato confronte aux écrits sur la paresse, le désir et le possible des Lafargue, Foucault et des militants de l’opéraïsme italien? Pour le savoir, il faudra courir à Carouge vendredi.
* lamarmite.org
 

«La Condition néolibérale». Rencontre avec Maurizio Lazzarato avec la participation exceptionnelle du comédien Claude Thébert, ve. 9 décembre 2016 à 20h, Théâtre de Carouge (salle Gérard-Carrat, rue Ancienne 57), entrée libre.

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