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Sauver le monde? L’affaire du poème

Université populaire nomade de la cultureLire Le Courrier du 10 octobre 2016, p. 2., La Marmite fera halte le 9 novembre à la Comédie de Genève. Pour l’occasion, elle accueillera un poète et humaniste remarquable: Jean-Pierre Siméon.
Culture

Pédagogue notamment à l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du Théâtre de Lyon et à SciencesPo Paris, romancier, poète (récipiendaire des Prix Maurice Scève, Guillaume Apollinaire, Antonin Artaud, entre autres), dramaturge associé au Théâtre national populaire, critique littéraire et dramatique notamment dans les colonnes de L’Humanité, Jean-Pierre Siméon est, en outre, un militant de la parole poétique: il dirige le Printemps des poètes depuis quinze ans.

Appuyant des convictions dont Usages du poème (2008) ou La Vitamine P (2012) portaient déjà témoignage, son récent essai La poésie sauvera le monde (paru l’an dernier au Passeur) enfonce le clou: «La poésie nous sauvera, si rien nous sauve.» Elle sauvera le monde «de son indignité» à tout le moins, précise-t-il.

De quels maux souffre donc la planète? De puissants déséquilibres économiques et écologiques avant tout – facteurs de conflits multiples et de migrations subies. Que peut le poème devant un tel constat? Dévier le rapport même que nous entretenons au monde : nous faire basculer d’un rapport prédateur, démiurgique, colonialiste à un rapport poétique à la nature et à autrui.

Qu’est-ce à dire? Un rapport à l’eau de rose? Loin de là. La poésie induit une «position éthique» – une forme de conscience, d’«empathie avec le monde» que Siméon repère déjà à l’œuvre dans «l’état de poésie» de notre concitoyen Georges Haldas. Cette culture de l’attention taraude au cœur la logique du divertissement, celle d’un imaginaire qui procède par identifications et inférences immédiates. Pour Siméon, par la production libre de ses images mentales, la poésie est résistance à la soumission de nos imaginaires, au conformisme. Loin d’être un colifichet ou un «charmant artefact», le poème est affaire politique. «Ne pas prendre en compte sérieusement (…) la particulière saisie de la réalité que la poésie opère dans le poème, la particulière élaboration de la langue qu’elle manifeste dans le poème et qui seule permet de s’émanciper des stéréotypes et de la désinvolture de la langue moyenne, seule la conteste radicalement, ce n’est pas se priver d’un accessoire ‘supplément d’âme’, c’est amoindrir fondamentalement la compréhension collective du monde.» Par sa singulière saisie – jamais réductible, le poème pourfend également cette autre «supercherie de nos démocraties [lesquelles] tiennent le citoyen informé comme jamais mais dans une langue close qui, annihilant en elle la fonction imaginante, ne lui donne accès qu’à un réel sans profondeur».

La poésie est «quête de l’ouvert (…). Elle naît du pressentiment que toute vue des choses, toute nomination, tout concept, toute définition, pour indispensables qu’ils soient, tendent à clore le réel et à en limiter la compréhension.» La poésie, elle, «illimite le réel, (…) rend justice à sa profondeur insolvable, à la prolifération infinie des sens qu’il recèle». Parce qu’elle récuse la clôture, la «quiétude du sens», la poésie est «inquiétante», elle affirme la «plasticité du vivant». «Grain de sable dans les rouages de la grande machine à reproduire le réel tel qu’il est», la valeur de l’art tient même, pour Siméon, à cette contradiction opposée aux normes.

Par delà son potentiel critique, le directeur du Printemps des poètes reconnaît au genre littéraire dont il défend la plus large diffusion une faculté positive et fort inactuelle – celle de révéler l’identité humaine comme étant à la fois «multiple» et «commune sous les identités de surface, historiques, locales, culturelles.»
Ponctuée de textes lus par la comédienne Nicole Bachmann et d’une brève projection relative à René Char, cette rencontre avec Siméon permettra d’interroger aussi les pouvoirs respectifs du récit et du théâtre et, plus largement, les enjeux de l’action culturelle, du dialogue de l’art et du social.

* lamarmite.org
«La poésie peut-elle sauver le monde?» Rencontre avec Jean-Pierre Siméon, me. 9 novembre à 20 h, Comédie de Genève, entrée libre.

Opinions Agora Mathieu Menghini Culture

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