Le choléra Trump ou la peste Hillary?
Je crains que ce titre ne heurte la bienséance, tant il est difficile de critiquer l’icône Hillary. Et pourtant, quel que soit leur résultat, les élections américaines risquent d’être décevantes aussi bien pour les Américains en particulier que pour le reste du monde en général. D’habitude, une élection nationale est un moment d’espoir de changer les choses, si possible vers le mieux. Souvenez-vous du «Yes, we can» de Barack Obama et de la fierté, de l’espérance de progrès que suscitait l’homme qui allait devenir le premier président noir de la première puissance de la planète. Et même s’il a beaucoup déçu, avec ses nombreuses guerres – Libye, Syrie, Ukraine –, ses renoncements – la paix en Palestine et le dialogue avec la Russie – et ses timides avancées avec Cuba et l’Iran, le président sortant laissera au moins le souvenir d’un homme de bonne foi, et qui a au moins essayé même s’il n’a pas réussi.
Avec Donald Trump et Hillary Clinton, rien de tel. L’un comme l’autre ne présagent rien de bon, même si les médias mainstream et l’establishment se sont évertués à nous présenter la candidate démocrate comme le choix de l’excellence, de l’expérience et du bon goût face au «dangereux bouffon populiste» Donald Trump. On a beau scruter l’horizon à la jumelle, on ne voit rien venir de bon et l’enthousiasme est en berne.
De Trump, tout a été dit. Depuis des mois, tous les éditorialistes intelligents des médias bien en cour en ont dit pis que pendre sur sa grossièreté, son mépris des femmes et des minorités, son amateurisme, sa méconnaissance des dossiers et des «complexités» du monde, son imprévisibilité, ses incohérences et son narcissisme compulsif. Les médias, rejetant tout esprit d’objectivité, se sont alignés sur l’élite washingtonienne et ont choisi leur camp: tout sauf Trump, est devenu leur leitmotiv. Soit, admettons qu’ils n’ont peut-être pas tort. Il est difficile d’accepter de confier le sort du monde à quelqu’un qui ne respecte ni les codes ni la bienséance.
Mais le problème, c’est que son adversaire ne vaut guère mieux, malgré les efforts pour la dépeindre comme la championne de la raison, de l’équilibre, de l’honnêteté et de la cause des femmes. Comme le font constater les commentateurs américains les plus lucides, le bilan des quinze dernières années d’activités politiques d’Hillary fait frémir. En 2003, comme sénatrice, elle soutient sans frémir l’invasion criminelle de l’Irak par Georges Bush et Tony Blair, invasion qui est à l’origine du drame syrien et de Daech tout comme de l’explosion de la vague de réfugiés en Europe. En 2011, comme secrétaire d’Etat, elle est favorable à l’élimination de Kadhafi sous le prétexte mensonger qu’il aurait projeté de massacrer son peuple. Elle fait de même avec la Syrie, qui est comme par hasard, après la destruction de l’Irak et de la Libye, le dernier Etat laïc du monde arabo-musulman, le dernier à assurer la paix confessionnelle, à scolariser ses enfants et à assurer aux femmes la liberté de marcher dans la rue et de conduire sans porter la burka… Au Proche-Orient, elle se range unilatéralement du côté d’Israël sans chercher à faire pression sur son allié pour faire avancer la paix. Idem vis-à-vis de la Russie, dont elle deviendra l’adversaire acharnée après la tentative ratée de «reset» des relations américano-russes à l’Intercontinental de Genève en 2009.
Quant à ses mensonges, ils ne valent pas mieux que ceux de Trump. Les révélations de WikiLeaks – que toute la presse bien-pensante s’empresse désormais de brocarder au nom de l’interférence avec le processus démocratique… – montrent qu’elle aussi ment comme elle respire, encensant la finance spéculative lors de ses conférences grassement payées par Goldman Sachs et la condamnant en public, approuvant les méga-accords commerciaux et les dénonçant en public, utilisant illégalement sa boîte Email privée pour éviter de voir ses messages enregistrés, etc., etc. La réouverture de l’enquête sur ses mails par le FBI tombe en effet au plus mal pour elle, alors qu’elle avait presque réussi à nous convaincre qu’elle était honnête.
Quant à son féminisme et à son engagement en faveur de la cause LGBT, qui lui vaut la reconnaissance des progressistes sociétaux, c’est certes une bonne chose aux Etats-Unis. Mais qu’en pensent les millions de femmes d’Irak, de Libye, de Syrie et d’Egypte, hier libres et aujourd’hui réduites à devenir les esclaves des islamistes de toutes obédiences? Et les homosexuels de ces pays, naguère plus ou moins laissés en paix et aujourd’hui décapités sur la place publique? Quand le progrès des unes se fait au détriment des autres, le bilan reste égal à zéro…
Face à deux candidats aussi peu convaincants, il ne reste qu’à espérer que le résultat, quel qu’il soit, déçoive en bien, selon notre bonne expression suisse. Après tout, restons optimistes. L’histoire a aussi montré que les Etats-Unis pouvaient élire un président tricheur et malhonnête, Richard Nixon en l’occurrence, et en faire un chef d’Etat au bilan honorable. I
* Directeur du Club suisse de la presse.