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Des larves qui font mouche

En accélérant le compostage des déchets organiques, des larves de mouche peuvent améliorer les conditions d’hygiène dans les pays tropicaux et aider l’agriculture locale. Et également nourrir poules et poissons.
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Malgré son nom martial, elle est inoffensive. La mouche soldat reste une vraie dévoreuse de nourriture, du moins en tant que larve. Celle-ci se nourrit de matières organiques avariées telles que des résidus d’aliments ou du lisier. «Elles réduisent en peu de temps une grande partie du volume de pratiquement n’importe quel type de déchets organiques», note Noah Adamtey de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL) à Frick (AG).

Le chercheur dirige le volet scientifique d’un projet visant à exploiter la voracité des larves de la mouche soldat (Hermetia illucens) dans les pays en développement. Il est mené dans l’agglomération d’Accra, la capitale du Ghana. «A l’image d’autres grandes villes des régions tropicales, le compostage est lacunaire à Accra», poursuit Noah Adamtey. Cela provoque d’énormes problèmes d’hygiène, car les déchets organiques constituent dans les pays en développement plus de la moitié des ordures. Ces ressources potentielles sont gaspillées. La croissance rapide de la population exige une agriculture productive, mais les sols sont épuisés et peu fertiles.

En collaboration avec des collègues ghanéens, les chercheurs du FiBL veulent rendre le compostage profitable pour les habitants d’Accra. De minuscules larves de mouches soldats sont ­placées dans les déchets organiques. Elles s’en nourrissent et réduisent la durée du compostage d’environ un tiers pour atteindre moins de 80 jours. Les agriculteurs peuvent ensuite répandre ce compost sur leurs champs. Un autre objectif du projet est de réutiliser les asticots comme aliment pour les élevages de poissons, qui peinent à couvrir les besoins de la population au Ghana. «Du fait de leur valeur nutritive, ainsi que de leur teneur en graisse et en acides aminés, les larves constituent une excellente nourriture pour les animaux», souligne Noah Adamtey.

Un avis partagé par Stefan Diener de l’Institut de recherche sur l’eau (Eawag) à Dübendorf, qui étudie lui aussi l’utilisation de la mouche soldat dans le traitement des déchets. Des larves séchées pourraient être par exemple vendues aux aviculteurs ougandais qui mélangent eux-mêmes la nourriture donnée aux poules. Un projet de l’Eawag prévoit par ailleurs de vendre des larves vivantes à des éleveurs de passereaux en Indonésie.

Le point le plus important dans ce type de projet est de valoriser les déchets organiques, souligne Stefan Diener: «Sans bénéfice économique, de gigantesques tas d’ordures puantes s’amoncellent et deviennent un problème.» Savoir si la mouche soldat est la meilleure solution dépend des réalités locales. «Au cas où les besoins en énergie dans une région sont très grands, des centrales à biogaz pourraient par exemple être plus rentables», souligne le chercheur. Les déchets organiques seraient alors essentiellement transformés en méthane.

Il est crucial d’anticiper les pièges éventuels. Le compostage au moyen de mouches soldats nécessite sur place une production d’œufs en continu ainsi qu’une procédure de tri rationnelle afin de séparer les larves matures du compost. «On doit être sûr que ceux qui achètent les asticots comme aliment pour animaux acceptent que les larves se soient nourries d’immondices.» Mais dans ce cas, la mouche soldat a alors un grand potentiel.

Comme à Accra, où le projet du FiBL est sur les rails, selon Noah Adamtey. Les analyses biologiques de base étant terminées, un guide pour le compostage au moyen de mouches soldats va maintenant être élaboré pour la population. Mais un problème demeure: au Ghana, les déchets organiques et inorganiques ne sont souvent pas séparés. Cela rend le compostage plus difficile. Car même les larves de la mouche soldat se cassent les dents sur le plastique, le verre et les composants électroniques.

* Journaliste scientifique et rédacteur en chef du magazine Tierwelt. Paru dans Horizons n°110, septembre 2016, FNS, www.snf.ch/fr/

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