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Le monde à l’envers!

Madeleine Gahigiri revient sur la volonté du Ballet du Grand Théâtre et du Béjart Ballet de ne pas boycotter la politique de colonisation d’Israël, en maintenant l’organisation de représentations à Tel AvivLire R. Armanios, «Les ballets de Genève et de Lausanne refusent le boycott», Le Courrier du 13 octobre 2016..
Culture

«Boycotter la culture, c’est interdire la parole, l’échange d’idées, le partage. Le boycott, c’est dresser des murs…»: extrait de la lettre du Béjard Ballet Lausanne, expliquant pourquoi ils refusent le boycott, pourquoi ils ont accepté de se produire en Israël. «La culture, c’est la rencontre de l’autre dans toute sa diversité, c’est la tolérance. La danse, c’est la liberté.» Même son de cloche de la part du Ballet du Grand Théâtre de Genève.

Mais qui donc érige des murs? Ceux qui les construisent ou ceux qui les boycottent? En Israël, il n’y a pas que le mur matériel, le «Mur de la honte» condamné par les résolutions des Nations unies et la communauté internationale. Il y a aussi ces lois discriminatoires qui empêchent les Palestiniens, et donc aussi les artistes des territoires illégalement occupés, à se rendre à l’opéra de Tel Aviv (et même à Jérusalem) pour pouvoir profiter de ces spectacles et de participer à ces «échanges culturels». Il y a aussi ce refus réitéré de la part des autorités israéliennes de laisser sortir des artistes gazaouis de leur «prison à ciel ouvert» pour pouvoir répondre à une invitation de se produire en Europe. Liberté des échanges culturels, tolérance?

Pour préciser encore le non-sens de ces justifications par mauvaise conscience: lors de la polémique autour du Festival de Locarno 2016 ,le BDS Suisse (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) a déclaré qu’il ne boycottera pas des artistes individuels, mais des institutions culturelles, institutions dont le régime se sert pour présenter Israël comme une nation tout à fait «normale», la «seule démocratie du Moyen Orient»! Normal le racisme contre les citoyens non-juifs? Normales les expulsions des Bédouins palestiniens de leurs terres ancestrales, les destructions de maisons comme punition collective? Les détentions administratives prolongées et illimitées sans jugement? Normal l’apartheid – attesté après son voyage sur le terrain par quelqu’un qui se dit «malheureusement un expert en la question», Mgr Tutu de l’Afrique du Sud, prix Nobel de la Paix?

Le moyen de venir à bout de l’apartheid en Afrique du Sud, c’était l’isolement du régime. Ici des artistes, sans doute flattés par cette invitation, prétendent soutenir un dialogue favorable à la tolérance et donc à la paix, en passant sous silence le refus obstiné du régime à promouvoir justement ces valeurs (colonisation accélérée qui rend de plus en plus impossible la solution à deux Etats) au mépris des conventions de Genève, ville dont le Grand Théâtre porte le nom!
Le BDS a été fondé en Palestine, le peuple espère une réponse notamment de l’Europe. Les jeunes surtout ont besoin d’espoir. Voici qu’ils proposent un moyen non-violent pour contraindre le régime à respecter les résolutions de l’ONU, à arrêter la colonisation et donc à créer les conditions d’un dialogue pour rendre la paix possible.

Allons-nous tendre la main aux Palestiniens, mais aussi aux Israéliens décidés à travailler à un rapprochement entre ces deux peuples, osant critiquer le régime pour toutes ces violations (s’attirant par là les foudres de leur opinion publique!)? Ou préférons-nous tendre le micro à un loup déguisé en agneau qui tente de nous endormir avec une berceuse, chantant les bienfaits d’un paisible échange culturel? La culture n’a rien à faire avec la politique, disent-ils. Vraiment?

* Bernex (GE).

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