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L’Occident et le prix d’une outrecuidance inconsciente

L’état de surveillance généralisée ­déployé en réponse aux violences djihadistes dans le cadre de la «lutte antiterrorisme» est un aveu d’échec, selon Miguel D. Norambuena, qui plaide pour plus d’intégration sociale.
Société

On a fait croire, on a cru et on continue de croire que le bien-être matériel donc nous jouissons dans les pays «riches» est le seul fruit de notre travail et que toute cette «richesse» matérielle, culturelle et civilisationnelle aurait émergé d’un développement autarcique. C’est une vision défendable mais que tout le monde ne partage pas. Encore moins les personnes – jeunes pour la plupart, en quête de sens et de futur à leur existence – qui, pour des considérations du sort de l’existence, s’identifient à des peuples humiliés.

En bons cartésiens et illusionnistes, nos décideurs récidivent à faire croire que la seule manière de faire face aux violences et aux meurtres commis par les intégristes et fanatiques d’un Allah construit à leur mesure, est de répondre en symétrie. Ainsi, ils font recours à la main forte et à des discours musclés, guerriers, qui frisent tristement le tragi-comique.

Ils évoquent le déclenchement sans merci d’une répression qui, cette fois-ci, serait la bonne. Ils croient ainsi rassurer la population en répétant solennellement qu’un état de surveillance généralisé sera déployé. Ces discours si outrecuidants de vanité se résument à plus de surveillance et plus de répression. Des réponses étriquées dépourvues d’ouverture au Monde.

Ici, deux choses jaillissent et devraient déjà nous faire sortir du cynisme complaisant dans lequel nous nous trouvons, si nous sommes convaincus que notre mode de vie, notre mode de produire et de consommer est un exemple d’une «bonne vie» à promouvoir au-delà de nos frontières.

Premièrement, si nous enlevons nos œillères, nous nous apercevons aisément que les jeunes de nos cités ne vivent pas aussi heureux que prétendent certains épisodes divertissants de la télévision: échecs scolaires, d’apprentissage, de vie familiale, de vie professionnelle, de relations sociales. Mais aussi, augmentation de la solitude, des dépressions, isolement imaginaire, affectif et sexuel. Tous ces symptômes sont courants et la cécité sociale qui les entoure coute déjà très cher aux collectivités.

L’inventaire pourrait encore être plus long. Mais tout peut se résumer en une seule phrase: un modèle démocratique essoufflé, qui produit une subjectivité pleine de ressentiment et de tristesse. Des pans entiers de la jeunesse de nos cités européennes vivent dans ce ressentiment, qui reste, pour la grande majorité, silencieux.

Le pas peut pourtant vite être franchi et ce mal-être peut dériver vers une forme d’une haine extériorisée. Cette violence, nourrie dans un monde sans rêves ni amour, est viscéralement irrationnelle.

Une société démocratique, ce n’est pas seulement pouvoir se divertir librement, dire ceci ou cela dans la presse, s’habiller comme on le souhaite, regarder un film pornographique à la télévision, danser, se «péter la tête» dans les soirées ou simplement boire des bières dans les terrasses jusqu’à l’aube. La démocratie c’est aussi l’affirmation dans les actes d’une éthique, d’une culture, d’un mode de vie et des repères intégratifs innovants. L’affirmation d’une éducation basique et supérieure – des Hautes Ecoles – pour tous, y compris pour les jeunes vivant des parcours de vie singuliers. Autrement dit, la démocratie, c’est la production de sens à la vie et de bien-être auquel tous et toutes peuvent rêver et/ou réaliser, peu importe l’horizon social, économique, ethnique et religieux.

Nos décideurs, de gauche comme de droite, doivent sortir du déni et savoir que dans le contexte sociétal actuel de miniaturisation et de massification de moyens de communication cathodiques, le vécu du ressentiment social peut se transformer et rapidement en violence mortifère. Pour sortir de cette réalité qui nous tétanise, l’issue passe irrémédiablement par une véritable intégration sociale et professionnelle pour tous. Une intégration intrinsèquement productrice de sens à la vie, du vivre-ensemble, et de la production de rêves et d’espérances. Parce que pour pouvoir se projeter dans le futur, il faut être quelque part, incarné en chair et en os dans le présent.

Voici notre défi démocratique, notre «guerre»: faire de ces esprits erratiques, dépourvus de rêves et dévorés d’horizons négatifs, de véritables ambassadeurs de nos démocraties car enfin intégrés et acteurs de la citoyenneté helvétique et européenne.

* Ancien directeur du Racard, centre d’hébergement et lieu de vie avec appui psychosocial, et fondateur du centre Dracar, à Genève.

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