Agora

Science et politique: le dialogue impossible?

Au menu du Conseil national, la mise en œuvre de l’initiative sur l’immigration de masse se décline en une douzaine de variantes. Suivant un raisonnement ab absurdo, le conseiller municipal en Ville de Genève François Mireval propose de tester une application stricte du texte de loi…
Rentrée parlementaire

Est-il envisageable d’insuffler un minimum de démarche scientifique dans un choix politique important? ou alors science et politique sont-elles incompatibles? Un exemple actuel, réel et tangible, permet de suggérer une réponse possible.

Le monde politico-économique suisse s’agite passablement ces temps-ci autour des conséquences du vote populaire du 9 février 2014 et de l’acceptation, de justesse, de l’initiative UDC «contre l’immigration de masse». C’est maintenant qu’il s’agit de concevoir une loi de mise en application du texte, qui impose un délai à 2017, tout en préservant la possibilité de revenir en arrière, puisque nous revoterons sur le sujet en 2018 ou 2019 (sur l’initiative «rasa» par exemple).

C’est justement cette précieuse étape intermédiaire qui permettrait à notre pays de tester vraiment le texte voté: il s’agirait d’en vivre les effets au quotidien pendant une certaine durée, avant de se prononcer à nouveau dans les urnes. Tester une loi avant de l’adopter ou de la rejeter? Ce serait là un bel exemple de ce qu’on pourrait appeler une démarche scientifique en politique! Seule la démocratie directe, telle qu’elle est pratiquée dans nos contrées, permettrait ce genre de processus.

Très concrètement, on pourrait imaginer le scénario suivant: pendant une année pleine, en 2017 par exemple, du 1er janvier au 31 décembre, la Suisse choisirait d’appliquer avec la plus grande rigueur le nouvel article constitutionnel. Elle fermerait donc ses frontières à toute personne non munie d’un visa adéquat sur son passeport – qui deviendrait le seul sésame possible. Travail, tourisme, transit, formation, résidence, etc.: il y aurait de nombreuses catégories de visa à envisager. (De leur côté, les apatrides, les réfugiés et les demandeurs d’asile obtiendraient bien sûr un document spécifique.) De plus, toute entrée sur notre territoire ferait l’objet d’un contrôle (marchandises et sécurité), quel que soit le véhicule (individuel ou collectif) utilisé.

Réciproquement, il va de soi que l’Union européenne imposerait des contraintes identiques à chaque Helvète. Commerce avec l’UE? Visa et contrôles! Un voyage touristique hors de la Confédération? Visa et contrôles! De simples achats transfrontaliers? Visa et contrôles (à l’aller comme au retour, bien sûr)!

Certes, ce qu’on obtiendrait ressemblerait à une insularisation extrême de notre pays (on pourrait presque parler d’«albanisation», en se souvenant de ce qu’a été ce pays il n’y a pas si longtemps). Mais c’est ce que l’UDC et son bailli zurichois souhaitent faire de la Suisse, et 50,3% de la population a approuvé un vaste volet de ce projet, sans pouvoir en mesurer toutes les conséquences. Il est temps d’en faire une réalité temporaire, dont le corps électoral pourra éprouver les effets «dans sa chair», avant de choisir (définitivement?) le modèle qui lui convient.

Ainsi, il pourrait être envisageable, dans certains cas, d’effectuer des choix politiques tout en les conciliant avec une démarche que l’on peut qualifier de scientifique. Les institutions helvétiques le permettent: il appartient maintenant aux chambres fédérales d’oser s’y frotter, et de faire confiance aux citoyennes et aux citoyens. Oseront-elles?

* Conseiller municipal socialiste-Ville de Genève, astrophysicien de formation.

Opinions Agora François Mireval Rentrée parlementaire

Connexion