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Harcèlement sexuel: «l’impunité, c’est fini»

«Nous ne nous tairons plus»: après les révélations visant un député, 17 anciennes ministres françaises ont lancé le 15 mai un appel pour dénoncer le silence et l’impunité face au harcèlement sexuel.
France

Nous nous sommes engagées en politique pour des raisons diverses, nous défendons des idées différentes, mais nous partageons la volonté que le sexisme n’ait pas sa place dans notre société. Ce fléau n’est pas propre à notre univers, loin de là, mais le monde politique a un devoir d’exemplarité. Ceux qui écrivent les lois, les votent, sont chargés de les faire appliquer, se doivent de les respecter et donc d’être irréprochables.

Il y a eu l’affaire DSK, la tribune des journalistes politiques «Bas les pattes!» et, cette semaine, les témoignages sidérants de quatre femmes politiques accusant Denis Baupin de faits présumés relevant de harcèlement et d’agression sexuelle. Cela concerne tous les partis, tous les niveaux de pouvoir. Nous prenons donc la plume pour dire que, cette fois, c’est trop, l’omerta et la loi du silence ne sont plus possibles.

Nous avons été ministres, nous sommes ou avons été élues. Et comme toutes les femmes qui ont accédé à des milieux auparavant exclusivement masculins, nous avons eu à subir et à lutter contre le sexisme. Ce n’est pas aux femmes à s’adapter à ces milieux, ce sont les comportements de certains hommes qui doivent changer.

On ne peut pas dire à une femme, quel que soit son statut, qu’elle soit salariée, étudiante, chômeuse, mère au foyer ou élue, à propos d’une collègue: «A part ses seins magnifiques, elle est comment?» On ne peut lui dire d’un air graveleux: «Ta jupe est trop longue, il faut la raccourcir» ou «Est-ce que tu portes un string?».

On ne peut pas dire à celle qui raconte publiquement une affaire de viol dans le métro: «Ce n’est pas à toi que ça arriverait.»

On ne peut pas mettre sa main sur la cuisse d’une femme ou serrer ses deux mains autour de sa taille sans qu’elle y ait consenti. Et quand une femme dit non, c’est non. Pas la peine d’insister ou d’exercer des représailles.

Ce que nous racontons est arrivé à certaines d’entre nous ou certaines de nos paires, mais là n’est pas la question. Cela arrive tous les jours à des femmes dans les transports, dans les rues, dans les entreprises, dans les facultés. Cela suffit. L’impunité, c’est fini. Nous ne nous tairons plus. Nous dénoncerons systématiquement toutes les remarques sexistes, les gestes déplacés, les comportements inappropriés. Nous encourageons toutes les victimes de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles à parler et à porter plainte. Nous demandons à nos partis et à nos groupes politiques de vérifier si de tels actes ont été commis et, si tel a été le cas, d’aider les victimes à faire éclater la vérité.

Selon une enquête du défenseur des droits rendue publique en 2014, au cours de sa vie professionnelle, une femme sur cinq est confrontée à une situation de harcèlement sexuel. Pour faire changer les choses, il faut prendre ce fléau par tous les bouts: changer les mentalités dans le monde politique, au travail, faciliter les procédures judiciaires, encourager les professionnels de santé à dépister les violences. Ce chantier repose sur une idée fixe: mieux protéger les victimes. Aujourd’hui, l’arsenal judiciaire existe mais les lois ne sont pas suffisamment appliquées. Le Code du travail protège les salariées mais il n’est pas respecté.
Peu de femmes portent plainte et très peu de plaintes débouchent sur des condamnations. Plusieurs pistes doivent être étudiées: allongement des délais de prescription en matière d’agression sexuelle; possibilité pour les associations compétentes de porter plainte en lieu et place des victimes; fin de la possibilité de correctionnaliser un viol; instruction donnée aux parquets de poursuivre systématiquement en cas de harcèlement; création d’un référent «agression ou harcèlement sexuel» dans les commissariats et gendarmeries; augmentation des moyens donnés aux services d’enquête pour établir le harcèlement sexuel; et meilleure indemnisation des victimes de harcèlement sexuel, à la fois par les auteurs condamnés et par leurs anciens employeurs quand elles ont été contraintes de quitter l’entreprise.

Car dans la majorité des cas, les femmes qui dénoncent des faits de harcèlement sexuel perdent de facto leur emploi. Elles sont donc doublement victimes. Pour lutter contre cette double peine, il faudrait encourager les entreprises à connaître et à respecter leur obligation légale de protéger les salariés et de sanctionner le harceleur, supérieur hiérarchique ou simple collègue. Il faut éduquer la population, déconstruire les préjugés et les codes, expliquer sans cesse ce qu’est un harcèlement ou une agression sexuelle. Les femmes doivent pouvoir travailler, sortir dans la rue, prendre les transports sans avoir à subir des remarques ou des gestes déplacés. Nous aurions tant aimé ne pas avoir à le répéter, nous aurions adoré ne jamais avoir eu à écrire cette tribune.

Opinions Agora Collectif France

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