Asile: il ne suffit pas que l’UDC soit contre pour qu’une loi soit bonne
Combien de mots jetés sur le papier, emportés par les bourrasques de l’exil? Combien de «non» dans les urnes? Combien de coups de gueule; combien de manifs? Combien d’écœurements devant les drames à répétition? Trente ans que ça dure. L’étau de la loi sur l’asile se resserre inexorablement et les gens sont broyés, non pas parce que c’est long, mais parce que c’est dur. Après le énième referendum lancé et perdu, celui de 2013, on aurait pu capituler, par lassitude, par confort. On aurait laissé le train de la restructuration filer prestement sur les rails fédéraux si l’UDC n’avait pas piqué sa crise d’enfant gâté. Ce parti ne veut pas des «avocats gratuits», dont elle fait un prétexte pour organiser un grand chahut et bazarder la loi tout entière. Mince alors! Après voir refusé dix révisions durcissant la politique d’asile, devrions-nous accepter la onzième simplement parce que l’UDC est contre? Le conseil juridique octroyé en compensation du rabotage aberrant des délais de recours vaut-il qu’on se renie? La réponse est non!
A quelques encablures de la votation, les partisans de la loi expriment des attentes révélatrices: «Vers l’accélération des renvois», tel est le titre générique choisi par la RTS pour le débat d’Infrarouge. Moi qui croyais bêtement qu’une loi sur l’asile sert à organiser l’accueil des réfugiés… Invité sur le plateau, Pierre Maudet se montre lui aussi pressé de leur voir les talons: les déboutés passeront directement du centre de procédure au centre de renvoi, ce qui permettra, prétend-il, de se passer de l’admission provisoire, ce statut concédé à ceux qu’on ne peut pas renvoyer. Quant aux «cas Dublin», ces égarés qui ont eu la mauvaise idée de mettre le pied d’abord dans un autre pays que le nôtre, il s’agit désormais de régler leur sort en quelques jours.
Ce système mécanique et froid de relocalisation des requérants est en échec dans toute l’Europe, mais la Suisse s’obstine à en faire usage. Peu importe que ces refoulés soient condamnés à végéter durablement dans des pays totalement dépassés et incapables de les accueillir, pourvu qu’ils contribuent à accélérer les procédures chez nous. Attendre des années dans l’incertitude, c’est vrai, c’est douloureux, mais ça ne l’est pas moins en Italie qu’en Suisse.
Sur le papier et dans les expériences-tests, la restructuration semble tenir ses promesses. Mais ne nous leurrons pas. Pour aller plus vite, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) admet avoir différé l’examen de la demande d’asile des Syriens, des Afghans et des Erythréens pour donner la priorité aux requérants expulsables. Ce n’est pas tout: dorénavant, comme aujourd’hui, les cas compliqués seront confiés aux cantons pour une procédure «étendue», donc plus longue. Quant aux renvois, c’est facile de les décider, mais c’est une autre histoire de les exécuter. Nous connaissons tous des exilés sans statut légal, relégués depuis trois, cinq ou dix ans dans des foyers ou des bunkers de la protection civile, non pas parce que les procédures traînent, mais pour la simple et bonne raison qu’ils sont dépourvus de papiers d’identité ou que leur pays d’origine refuse leur réadmission. Enfin, si les conseillers juridiques distribuent sans doute de judicieux conseils, ils sont aussi là, comme le Conseil fédéral le dit lui-même, pour aider les requérants à accepter une décision négative et renoncer à recourir. Voilà comment les mots sont finalement détournés de leur sens: «accéléré» devient «expéditif»; «protection juridique» se mue en «dissuasion» et «regroupement dans des centres fédéraux» dérive dangereusement vers «concentration dans des sortes de camps retranchés».
En effet, si, pour le moment, la phase test se situe en pleine ville de Zurich, sous l’attention bienveillante des autorités et des citadins, il est probable que par la suite le parcours des requérants se déroulera en circuit fermé, d’un centre d’enregistrement à un centre de procédure, puis à un centre de renvoi, avec un éventuel et malheureux détour par un centre pour «récalcitrants». Tout se passera loin des villes, comme s’il s’agissait d’établir une sorte de vide sanitaire autour des exilés, comme s’il s’agissait de prévenir toute contamination sociale et solidaire en les soustrayant à ces centaines de personnes qui, jour après jour, leur apportent des vêtements, offrent de la nourriture, cuisinent, écoutent, organisent des cours, multiplient les démarches, lancent des débats ou proposent des animations culturelles.
La perplexité de nombreux citoyens devant leur bulletin de vote est générée par la crainte qu’en refusant la loi, ils vont fournir à l’UDC un tremplin pour de nouveaux durcissements. Or l’accepter revient hélas pratiquement au même, car elle contient déjà tout ce que ce parti a été capable d’imaginer en matière de restrictions, d’obstacles, de contraintes et de vexations. Alors autant voter selon sa conscience.
* Ancienne conseillère nationale.