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Mariage pour tous ou union libre: aller plus loin dans la réflexion

Franceline James revient sur l’éclairage «Libérer les couples», paru en page Contrechamp dans notre édition du 21 mars.
Société

Dans leur article «Libérer les couples», un groupe d’anarchistes genevois (dommage, il n’y ait pas leurs noms) décrit de manière nuancée les limites du mariage, institution fixe, normative, qui répond aux besoins de stabilité des individus mais pas à leur désir de changement et de diversité.

A l’autre extrémité du même axe, les auteurs décrivent bien les limites du modèle libertaire, la liberté de choix des individus étant inscrites dans les inégalités socioéconomiques de départ, qui font (comme ils le relèvent) que ce sont le plus souvent les femmes qui se retrouvent les laissées pour compte de ce modèle.

A ces éléments, il faut ajouter que le modèle libertaire, en imaginant des individus libres de leurs choix, met sur leurs épaules le poids écrasant des idéaux de réussite, de bonheur et de réalisation de soi de notre société: les individus ont intériorisé ces normes sociales fortement influencées par la société de consommation et ne mesurent pas l’illusion des choix ainsi présentés. Ils se retrouvent donc seuls responsables de leur «bonheur» ou de son échec – ce qui assure beaucoup de travail aux thérapeutes de couple (j’ai pratiqué cette profession pendant plusieurs décennies).

Le modèle du couple marié devrait être abandonné comme norme. Certes, mais pas au profit d’une non-norme tout aussi insatisfaisante! Le modèle libertaire propose en effet un idéal tout aussi écrasant: «réapprendre à aimer, à vivre dans une famille différente, à faire confiance, à se dire qu’éprouver des sentiments pour d’autres ne veut pas forcément dire abandonner mais s’enrichir, renouveler, donc perdurer».

Durer, mais changer quand même, changer mais durer quand même… voilà justement le résultat dont on rêve! D’autant plus difficile à atteindre que les individus, dans notre société, se retrouvent totalement seuls, avec l’illusion de leur liberté sur les bras – ceci pour ajouter aux facteurs socioéconomiques les facteurs psychologiques, d’ordre le plus souvent inconscient, qui déterminent les choix individuels en matière affective…

Ne faudrait-il pas aller plus loin, et remettre en question l’idée d’un seul modèle?

Ne devrions-nous pas envisager qu’il y ait plusieurs modèles, et qu’il soit possible de passer de l’un à l’autre dans des périodes successives de l’existence?
Dans cette idée, il me semble souhaitable d’éviter de réduire, au nom de l’égalité, des différences incontournables.

Je propose de réserver l’institution du mariage (civil et/ou religieux) aux couples hétérosexuels désireux de fonder une famille. Ceci afin de permettre aux enfants d’avoir une origine, sur laquelle fonder leur construction identitaire.

Il devient ensuite possible de définir d’autres formes d’union (PACS, par exemple), pour d’autres types de couples (homosexuels, par exemple). Ce type d’union devrait assurer la gestion des biens, de l’héritage, etc.

Et, bien sûr, autre forme d’union: l’union libre, pour les personnes qui n’ont pas besoin d’un support juridique garanti par l’Etat pour gérer leurs choix individuels.
Il deviendrait alors possible (et très souhaitable, à mon avis) de redéfinir la parentalité. Les enfants ayant le besoin et le droit de savoir d’où ils viennent, il serait grand temps d’assouplir la vision de la parentalité qui est la nôtre, réduite aux seuls parents biologiques ou mariés (cas de l’adoption).

Autant les couples ont droit à plusieurs modèles de fonctionnement et d’existence reconnus par la société, autant les enfants ont le besoin et le droit qu’on différencie les fonctions parentales actuellement amalgamées sur les seuls parents reconnus: parentalité biologique, parentalité symbolique, parentalité de nom et d’héritage, parentalité socioéducative, toutes ces fonctions parentales étant nécessaires, permettant diverses identifications, et pouvant être assurées par des adultes mariés ou non, hétérosexuels ou non, dans une diversité qui ne peut qu’enrichir les enfants.

Cela, les sociétés non occidentales le savent depuis toujours, puisque les enfants d’un couple sont souvent élevés ailleurs que chez leurs parents, qu’ils appellent souvent «père» et «mère» des adultes à qui ils sont liés par des relations filiales (parenté classificatoire), et qu’ils peuvent ainsi pour leur plus grand bien disperser sur une série d’adultes les affects qui sont chez nous concentrés sur le seul «couple parental»…

Pourquoi ne pas revoir non seulement l’institution du mariage, mais aussi nos définitions de la parentalité? Sans pour autant verser dans la confusion (si tout le monde peut se marier avec tout le monde, alors le mariage ne veut plus rien dire), ni dans l’idéalisme (réapprendre à aimer, c’est le programme de toute une vie!).
Merci aux libertaires de poser une vraie question de société. Ça ne la rend pas plus simple, mais c’est sûrement nécessaire d’ouvrir le débat!

* Psychiatre psychothérapeute, Genève.

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