Une coupe peut en cacher une autre
Voici quelques mois, le Conseil fédéral croyait bien faire en infligeant une coupe dite préventive de 115 millions de francs au budget 2016 de la coopération. Quant aux crédits-cadres qu’il propose pour la période 2017-2020, ils marquent également un recul de l’engagement fédéral à 0,48%. Alliance Sud a fermement critiqué ce rétrécissement des perspectives, critique présentée ici-même par Michel Egger le 24 février.
Mais une coupe peut en cacher une autre. Le 19 février, la Commission des finances du Conseil national publiait un communiqué indiquant que «la commission a proposé, par 11 voix contre 10 et 2 abstentions, de (…) de diminuer la part de l’aide publique au développement à 0,3% du revenu national brut d’ici à 2020». Les efforts du Conseil fédéral n’auront donc pas suffi, et de loin pas!
Rappelons que la décision que les Etats industrialisés consacrent 0,7% de leur PNB à l’aide publique au développement a été prise par l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 1970. Depuis, elle a été régulièrement réaffirmée lors de tous les grands sommets internationaux. La Suisse y a toujours souscrit, tout en sollicitant de la compréhension pour un alignement qui prendrait du temps.
Suite à une pétition déposée en mai 2008 avec plus de 200 000 signatures demandant d’arriver au 0,7% («0,7% - ensemble contre la pauvreté»), le Parlement s’était prononcé en février 2011 pour que la cible de 0,5% soit atteinte en 2015, et elle l’a été, selon le Conseil fédéral, avec une année d’avance (0,51% en 2014). Ce compromis semblait satisfaisant, dans la mesure où cette valeur était actée comme une étape. Notons toutefois que le même Parlement décidait en septembre 2011 de relever également, dès 2014, le budget militaire, à savoir de 4,4 à 5 milliards de francs par an…
Il ne faut pas oublier, comme l’indique le message pour la période 2017-2020, que ce pourcentage ne couvre pas que la coopération proprement dite. Sur les 3,191 milliards alloués en 2014 à l’aide publique au développement, seuls 53% ou 1,7 milliard vont directement à cette tâche, assumée pour l’essentiel (1,45 milliard) par la Direction du développement et de la coopération (DDC) et pour un petit sixième par le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). Quelque 14% sont destinés à l’aide humanitaire et un autre 14% au soutien aux requérants d’asile, soit chaque fois 460 millions.
On avait bien retenu que les orientations du nouveau Parlement n’étaient pas exactement en phase avec les dispositions constitutionnelles régissant les relations internationales. On peut d’ailleurs se demander si l’article 54 de la Constitution trouverait encore grâce aujourd’hui: la Suisse «contribue notamment à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté ainsi qu’à promouvoir le respect des droits de l’homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles».
On peut comprendre, sans le partager bien entendu, que d’aucuns veuillent propager le repli sur soi, et ancrer l’égoïsme au cœur des options politiques nationales; c’est d’ailleurs un bon fonds de commerce électoral dans de nombreux pays. Ce qu’on ne peut pas comprendre, en revanche, est d’occulter les contraintes et les conséquences de la mondialisation, spécialement dans un pays aussi dépendant des relations extérieures pour ses ressources naturelles, pour ses revenus (tourisme, notamment) et pour ses exportations que le nôtre.
Peut-on sincèrement imaginer vivre en paix alors que le monde va à vau-l’eau, vouloir ne rien en savoir quand 60 millions de personnes sont obligées de quitter leur lieu de vie, penser se mettre à l’abri des effets de la migration forcée, et ne pas aider les femmes et les hommes du Sud à vivre dignement dans leur pays? Comme le dit le Conseil fédéral, «notre prospérité et notre sécurité dépendent de l’environnement international».
Etre sur la même planète et oublier d’investir suffisamment dans un monde plus équitable et plus équilibré ne fonctionnera pas. Dès lors réduire de quelque 40% l’effort de solidarité, sous toutes ses formes, c’est non seulement trahir nos engagements en s’éloignant de manière coupable des 0,5% convenus, c’est aussi saboter notre propre avenir. Si les perspectives financières énoncées par le Conseil fédéral sont peu réjouissantes, celles de la Commission des finances dépassent toutes les bornes.
* Président de la Fédération genevoise de coopération (FGC).