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Eperdument

CIN-OPTIQUE

Peut-être est-ce un dernier reste de romantisme en moi, mais j’avoue avoir été ravi par cette histoire qui a créé l’émoi dans la région de Zurich en pleine période de préparation de la Saint-Valentin, histoire d’une gardienne de prison qui a aidé un détenu à ­s’échapper, prenant la direction de l’Italie avec lui dans sa BMW noire, comme l’indique la police cantonale dans son avis de recherche international!

La direction de l’Italie… On est tout de suite en plein romantisme stendhalien! Qu’on se remémore La Chartreuse de Parme, l’entrée de Fabrice dans la citadelle déjà placée sous le signe de l’amour, le souvenir de Clélia qui obnubile le héros dans sa cellule. Etrange prison que la prison stendhalienne dont la cellule est située au plus haut de la tour Farnèse et ressemble plus à une chambre luxueuse habitée jadis par un prince qu’à un cachot sans air et sans lumière. Une chambre dans laquelle le héros trouvera non seulement son accomplissement spirituel dans la solitude de l’imagination et dans la rêverie, mais de façon plus incroyable encore, compte tenu de tous les obstacles, d’où il réussira à établir une correspondance avec Clélia, à lui parler et à l’aimer!

On le voit: quelques lignes dans un journal et je m’envole! Il faut dire que les histoires d’amour entre geôlier/geôlière et prisonnier/prisonnière occupent une place importante dans notre inconscient collectif (chansons, films, contes et légendes).

Le prisonnier de la prison de Limmattal est un Syrien de 27 ans qui purgeait une peine de quatre ans pour avoir violé une jeune fille de 15 ans et avoir été jugé antérieurement à deux reprises pour agressions sexuelles. Sur son profil Facebook, sa photo montre un torse bodybuildé, complètement tatoué, et il avoue sa fascination pour le fitness.

Angela, la gardienne, est une Suissesse de 32 ans qui travaillait depuis quelques années déjà dans des établissements carcéraux zurichois. Passionnée de kick-boxing et de boxe thaï, elle était mariée, mais avait quitté son mari trois mois avant l’évasion. Mari qui raconte qu’elle avait commencé à s’intéresser au Coran et à la Syrie un peu plus tôt.

Tout cela peut paraître fort peu romantique, loin de Stendhal en tous les cas. Et pourtant… Sur son profil Facebook à elle, Angela montre un visage souriant sur fond d’une image du film Le Secret des Poignards volants. Ce film de Zhang Yimou raconte l’histoire en l’an 859 d’une bande qui vole les riches pour donner aux pauvres et menacent le pouvoir en place. Pour arriver au chef de ces bandits, Jin, un lieutenant de police, se fait passer pour un guerrier solitaire et aide une prisonnière aveugle à s’évader pour qu’elle l’amène au repaire des révolutionnaires. Mais, bien sûr, il tombe amoureux de celle qu’il entend utiliser. Voilà donc une image qui donne une forte touche de romanesque à l’histoire de notre gardienne de prison zurichoise.

Et voici que sort ces jours sur nos écrans Eperdument, le film d’un cinéaste encore peu connu, Pierre Godeau, qui est l’adaptation du roman à forte dimension autobiographique Défense d’aimer de Florent Goncalvès.

Eperdument raconte donc l’histoire de Jean (Guillaume Gallienne), 39 ans, directeur exemplaire de la prison pour femmes de Versailles, qui doit accueillir Anna (Adèle Exarchopoulos), 23 ans, dont l’affaire est en cours de jugement. Très vite attiré par le côté sauvage de la jeune femme, il lui propose un travail de commandes à effectuer hors de sa cellule pour le restaurant de la prison. Et, très vite, les deux succombent à une passion torride dans laquelle Jean ruine sa carrière et sa vie familiale.

Histoire née de faits réels: Florent Gonçalvès, directeur de prison modèle, a été arrêté en 2011 pour avoir entretenu une liaison avec une de ses détenues qui avait servi d’appât pour un enlèvement crapuleux dans l’affaire du «gang des barbares». Les médias se déchainèrent, accablant le directeur ou la détenue qui l’aurait manipulé. Or Conçalvès plaide l’histoire d’amour: c’est par amour qu’il a tout perdu, son poste dans l’administration, sa famille, son honneur…

Décidément, malgré la chanson de Brassens qui, dans La Route aux quatre chansons, affirme que «les geôlières n’ont plus de cœur aux prisons de Nantes et d’ailleurs», il semble bien que, du côté de Versailles et de Zurich, geôlier et geôlière ont gardé «de plus nobles façons»!

* Cinéphile.

Opinions Chroniques Serge Lachat

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lundi 8 janvier 2018

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