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Affamer la bête

UN MONDE À GAGNER

Les étudiants de l’EPFL devraient voir leurs taxes d’études doubler. A Genève, les employés de la fonction publique vont travailler deux heures de plus par semaine, sans augmentation de salaires – et leurs annuités sont bloquées. A Lausanne, la nouvelle patinoire, en construction, prendra le nom d’un sponsor privé car les communes n’ont plus assez d’argent pour en supporter le coût. Rien de très grave? Peut-être, mais mises bout à bout, toutes ces restrictions indiquent un phénomène plus grave: une crise des finances publiques.

La droite dure qui gouverne la Suisse (UDC et PLR) attaque l’Etat social et les services publics depuis le début des années 1990. Les Blocher, Ebner, de Pury, Schmidheiny et autres milliardaires ont expose´ leurs recettes pour détruire les conquêtes de la classe ouvrière: dégradation des régies publiques (PTT, CFF, SSR, etc.); concurrence fiscale entre cantons; libéralisation du marche´ du travail, de l’électricité, de la sante´, des horaires d’ouverture des commerces, etc.; baisse des prestations sociales; baisse des dépenses publiques.

Cette «offensive libérale» repose sur une stratégie de longue durée: réduire la capacité d’action de l’Etat en diminuant les ressources a` sa disposition. Bref, il faut affamer la bête. Toutes les «réformes» fiscales, adoptées depuis les années 1990 ont suivi cette logique: baisse des impôts = moins de prestations sociales et moins de services publics. Les gagnant-e-s de cette politique sont les actionnaires des grosses entreprises, les perdant-e-s sont les utilisateurs et les employé´-e-s du service public.

Parallèlement, la stratégie de la droite consiste a` offrir a` ces mêmes grosses entreprises des conditions fiscales tellement attractives en Suisse qu’elles y fixent leur siège légal, même si l’ensemble de leurs activités se déroulent en fait a` l’étranger. Il s’agit du régime des statuts fiscaux spéciaux, des niches pour l’optimisation fiscale des multinationales. L’UE et l’OCDE les combattent car elles privent injustement de recettes fiscales les pays ou` se passe la réelle activité économique. Cette évasion fiscale massive n’est pas pour rien dans les crises sociales et économiques des pays du Sud.

C’est pourquoi la gauche a combattu la Réforme de la fiscalité des entreprises II en 2008 (et on se souvient que le ministre radical d’alors, Hans-Rudolf Merz, avait dû mentir pour gagner cette votation!) et qu’elle s’apprête a` lancer le référendum au niveau fédéral contre une nouvelle baisse massive d’impôts des entreprises: la RIE III.

Au nom de la suppression des statuts spéciaux, ce projet fédéral prévoit de faire baisser de moitié les impôts de toutes les entreprises. Malheureusement, dans le canton de Vaud, privilégiant la voie solitaire et avant même que le projet fédéral de RIE III ne soit définitivement boucle´, le gouvernement a propose´ d’anticiper ces baisses d’impôts, soit près d’un demi-milliard de cadeau fiscal par an. Il s’agit, d’après le gouvernement vaudois, de «la plus importante réforme de la fiscalité cantonale et fédérale des entreprises depuis un demi-siècle».

Si on peut regretter que le Conseil d’Etat, à majorité de gauche, se soit engagé dans la voie de la concurrence fiscale entre cantons et des cadeaux faits aux grandes entreprises, les Vaudois-e-s peuvent exprimer leur refus de cette politique le 20 mars prochain. Et la gauche, en dehors du canton de Vaud, ferait bien de suivre avec attention l’issue de ce scrutin crucial pour l’avenir de l’Etat social.

* Chercheur et militant.

Opinions Chroniques Romain Felli

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