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Arabie saoudite, Al-Qaïda et Daesh

Thawra!

Les médias se sont focalisés sur la montée des tensions entre la République islamique d’Iran et l’Arabie saoudite à la suite de l’exécution, le 2 janvier, d’une figure de l’opposition, le cheikh al-Nimr, par l’Arabie saoudite. Le jour même, 46 autres personnes étaient exécutées. Parmi lesquelles 43 djihadistes membres d’Al-Qaïda, condamnés pour des attentats à la bombe et des attaques d’armes à feu dans le royaume. L’objectif était d’envoyer un message clair: tout soutien ou participation à des courants djihadistes du type d’Al-Qaïda et Daesh seraient réprimés avec la plus grande fermeté. La «coalition antiterroriste» de 34 pays, emmenée par l’Arabie saoudite, signe aussi cette démonstration de lutte contre les courants djihadistes.

Al-Qaïda et Daesh, qui ont promis de renverser le régime des Saoud, ont annoncé qu’ils vengeraient ces exécutions. Les deux organisations ont déclaré la guerre contre l’Arabie saoudite, qui a arrêté des milliers de leurs partisans. Daesh a d’ailleurs revendiqué une série d’attentats et de fusillades en Arabie saoudite depuis novembre 2014 qui ont tué plus de 50 personnes, en majorité des Saoudiens de confession chiite, mais aussi plus de 15 membres des forces de sécurité.

Al-Qaïda, de son côté, mène des actions terroristes au sein du royaume saoudien depuis 2003, qui ont fait plusieurs centaines de victimes. L’organisation considère le régime des Saoud comme anti-islamique du fait de son association avec des Etats «infidèles» dans la guerre contre l’Afghanistan des Talibans.

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire du royaume que la famille des Saoud est menacée depuis l’intérieur du pays par des courants fondamentalistes.

Entre 1927 et 1930, les Ikhwan («Frères»), force armée fondamentaliste au service des Saoud, se retournent contre le pouvoir, réprouvant tant ses relations avec les Britanniques (considérés comme infidèles) que la conduite personnelle du souverain Ibn Saoud (accusé d’impiété et d’avoir introduit une modernisation étrangère). Ils prônent l’islamisation des populations chiites du royaume, l’interdiction de la musique, du chant, considérés comme anti-islamiques, etc.

En 1979, Jouhaymane Al-Utaybi (né dans une colonie de Ikhwan saoudienne) et Muhammad Al-Qahtani assiègent la Grande Mosquée de La Mecque pendant deux semaines, à la tête d’un groupe de quelques centaines de personnes. Les opposants présentent leur action comme un soulèvement islamique pour protester contre le laxisme religieux, moral, la dégénération de la famille Saoud, et contre les relations diplomatiques avec des «Etats infidèles».

Dans les années 1990, les Sahwa (le «Réveil»), qui diffèrent des autres mouvements d’opposition fondamentalistes par leur refus de l’utilisation de la violence et par leur remise en cause de la légitimité de la famille régnante, exigent une ouverture politique du système, critiquent la demande d’assistance du souverain roi Fahd aux «infidèles» durant la libération du Koweit de l’occupation irakienne, et réclament une islamisation des politiques sociales, économiques, médiatiques et militaires.

La guerre entre le royaume saoudien d’un côté et Al-Qaïda et Daesh de l’autre ne signifie pas que leurs idéologies respectives différent pour autant. Le royaume saoudien a beau dire depuis des années que la doctrine de ces organisations est étrangère au pays, les groupes ultra-fondamentalistes comme Al-Qaïda et Daesh trouvent un terreau fertile dans le discours wahhabite officiel diffusé par le clergé et les institutions du royaume saoudien.

Ce discours dénonce par exemple la dimension laïque du nationalisme arabe, considéré comme une «jahaliyya» (ignorance) athéiste d’origine européenne, mais de motivation juive, dont l’objectif principal est decombattre l’islam. Le communisme, quant à lui, est considéré comme un mouvement asservissant les individus au matérialisme et à l’abandon des qualités morales et spirituelles. Tandis que le danger de l’occidentalisation est présenté comme l’adoption de systèmes politiques occidentaux (avec des partis et des parlements) au détriment de la cohésion et du consensus social. Ainsi, l’occidentalisation ébranlerait les musulmans en conduisant à la mixité femmes-hommes, l’ouverture de bars et de discothèques et la célébration de fêtes non musulmanes comme la Fête des mères, Noël ou le 1er Mai…

Par ailleurs, le royaume saoudien exerce depuis des décennies des discriminations religieuses, sociales et politiques contre les minorités chiites, cible d’une propagande les stigmatisant comme autant d’éléments d’une «5e colonne iranienne». Une enquête sur les attaques menées en 2015 contre les rassemblements religieux chiites dans le village d’Al-Dalwa, dans la province orientale du royaume, a d’ailleurs révélé que sur les 77 suspects, 44 étaient des bénéficiaires du programme «Munasaha» de réhabilitation et de «déradicalisation», mis en place en 2004 et destiné aux anciens djihadistes. Une autre attaque contre une mosquée ismaélienne à Najran, le 26 octobre dernier, a été revendiquée par un membre de l’Etat islamique en Arabie saoudite, qui avait été libéré quelques mois auparavant, après avoir suivi ce programme.

Au-delà de l’idéologie réactionnaire du wahhabisme officiel, la source principale de recrutement de ces organisations en Arabie saoudite est d’origine politique et socio-économique: dans son système autoritaire dépourvu de démocratie, dans la répression féroce de toute forme d’opposition à la famille régnante, dans les inégalités sociales, la pauvreté (plus de 25% de la population vit sous le seuil de pauvreté) et le chômage croissant, ainsi que dans l’alliance avec des puissances occidentales impérialistes coupables de crimes contre d’autres populations arabes et musulmanes. Des organisations comme Daesh et Al-Qaïda trouvent leur origine non dans une histoire lointaine, mais sont les produits de l’époque actuelle. Et le royaume des Saoud est loin d’y être étranger.

* Universitaire et militant de solidaritéS.

Opinions Chroniques Joseph Daher

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lundi 8 janvier 2018

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