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Pas de «cash» pour les pauvres

AUSTRALIE • Mise au pas et punition des classes défavorisées. En consignant l’argent des aides sociales sur une carte électronique, le gouvernement déploie une politique sociale cruelle.
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Imaginez votre enfant qui rentre de l’école et demande dix francs pour une course d’école au zoo local. Ensuite, imaginez que vous devez lui dire que cela ne sera pas possible, car vous n’avez pas d’argent liquide à donner. L’argent existe, mais n’est pas disponible en liquide. C’est la réalité pour beaucoup de parents australiens.

Depuis 2007, le gouvernement australien (travailliste) a consigné l’argent des aides sociales sur une carte électronique. Les biens qu’on peut acheter sont limités, tout comme les points de vente. La conséquence immédiate est l’exclusion de ces personnes des échanges en argent liquide.

La gestion obligatoire et imposée du revenu (Compulsory Income Management – CIM) a été un événement important dans la politique sociale australienne. Le CIM a été élaboré dans la foulée du plan d’urgence pour les territoires aborigènes du Nord en 2007. C’était un moyen pour le gouvernement travailliste de John Howard de réduire encore les prétentions des aborigènes. Pour cette intervention, le gouvernement avait dû suspendre la loi contre la discrimination raciale afin d’envoyer l’armée dans ces communautés et de pouvoir exproprier. Le fait de devoir suspendre la loi contre les discriminations raciales datant de 1975 est un signe évident de la motivation raciste de cette intervention du gouvernement fédéral.

De toutes les mesures imposées durant l’intervention, celle sur la gestion obligatoire du revenu est particulièrement perturbante. Elle a été appliquée à tous les aborigènes vivant dans les territoires du Nord qui recevaient des aides sociales, sur la supposition que ces personnes étaient paresseuses, immatures et responsables des méfaits de la colonisation. A la lecture des documents gouvernementaux, les buts du CIM sont clairs, allant du renforcement économique à l’encouragement à l’emploi et à l’éducation, la promotion d’un comportement socialement responsable visant à réduire la part des dépenses consacrées à l’alcool, au tabac, à la pornographie et autres jeux d’argent. Tant les évaluations indépendantes que celles commandées par le gouvernement n’ont montré aucun succès du CIM dans la réalisation de ces buts en sept ans. Au contraire, le CIM a contribué à rendre la vie plus difficile pour les Australien-ne-s les plus vulnérables. Toutefois, de façon étonnante, tous les gouvernements successifs, travaillistes et conservateurs, ont poursuivi le programme. Récemment, les deux plus grands partis politiques australiens, avec le support de plusieurs partis indépendants, ont voté une loi au Sénat pour élargir le déploiement du CIM dans les communautés pauvres, aussi bien pour les aborigènes et les non-aborigènes.

L’élan nécessaire à un tel approfondissement à l’encontre de toute logique provient en partie de la nomination scandaleuse d’un magnat des mines, le milliardaire Andrew Forrest, à la tête du Comité national aborigène pour l’emploi. Ce dernier a utilisé sa position pour imposer sa vision du développement des communautés aborigènes en Australie. Forrest, qui a fait sa fortune dans l’élevage, puis l’exploitation de mines d’or sur des terres aborigènes dans le Pilbara, a fait plus de 70 recommandations allant du développement des enfants et de l’éducation à la gestion des terres. Dans ces recommandations, il était proposé que le CIM s’étende à l’ensemble de l’Australie. L’origine de cette proposition montre que c’est une rengaine connue dans une société néocoloniale et néolibérale, dont la mise au pas et la punition des pauvres est une des caractéristiques. Les pauvres ont été utilisés comme boucs émissaires face à l’accroissement des inégalités et de la pauvreté lors de ces trois dernières décennies de politiques économiques néolibérales.

La dimension raciale de ces politiques est également un élément récurrent des politiques australiennes envers les aborigènes; tous les gouvernements, depuis celui d’Howard en 2000, essayent d’imposer l’assimilation de ces populations. La plupart de celles et ceux qui assistent à la dégringolade sociale et écologique de l’Australie ne seront pas surpris par la promotion et l’expansion du CIM dans les politiques sociales. Cette situation est vraiment paradoxale, alors que dans le même temps l’Australie mène campagne pour un nouveau siège au Conseil de sécurité des Nations Unies sur la base de son exemplarité dans les droits humains.

* Article traduit et publié dans Pages de gauche n° 150, décembre 2015, www.pagesdegauche.ch/

Opinions Agora Elise Klein Agora

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