Chroniques

Carnaval de Cologne

CIN-OPTIQUE

Les événements survenus lors de la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne ne cessent de provoquer des réactions de plus en plus violentes. Au départ, 170 plaintes pour vol, agression sexuelle ou viol ont été déposées à Cologne après cette nuit. Actes commis selon des témoins par de petits groupes d’hommes ivres «d’apparence arabe ou maghrébine». La rumeur à peine diffusée, des faits similaires ont été signalés à Hambourg, Stuttgart et Francfort, mais aussi à Salzbourg et Zürich! A Cologne, la police a identifié 31 suspects, dont 18 sont demandeurs d’asile.

Le scandale est tel en Allemagne et ailleurs en Europe que le chef de la police de Cologne a été suspendu vendredi, et qu’Angela Merkel est violemment attaquée pour sa politique d’accueil de réfugiés. La réaction est d’autant plus violente que les autorités ont gardé le silence jusqu’au mardi, le temps de trouver comment relater les faits sans déchaîner par amalgame la colère de la population contre tous les réfugiés.

Attente raisonnable, mais au final contreproductive: dans l’ignorance de qui étaient les coupables, la rumeur a trouvé un terrain favorable à tous les amalgames. Pour noble que soit la décision du gouvernement allemand d’accueillir plus d’un million de réfugiés, elle éveille des peurs incontrôlables que la moindre rumeur ne peut qu’activer ou réactiver. Indépassable dilemme: ou les autorités disent qu’il y a des réfugiés parmi les coupables et elles déchaînent des réactions difficiles à prévoir, ou elles ne disent rien et on les accuse de faire de la rétention d’informations au nom du «politiquement correct».

Bien évidemment, l’extrême-droite saute sur une telle occasion et multiplie les affrontements violents, et bien évidemment aussi des dirigeants de pays d’Europe de l’Est ou de l’ex-Yougoslavie (la Slovaquie dans le cas présent) se refont une virginité après avoir été attaqués pour leur «politique anti-réfugiés».

Il convient bien sûr de ne pas minimiser la portée de tels actes et de respecter la douleur de celles qui les ont subis. La pancarte de l’artiste suisse Milo Moiré qui posait nue devant la cathédrale de Cologne disait bien la gravité de tels agissements pour les victimes: «Respectez-nous, nous ne sommes pas du gibier, même quand nous sommes nues». Seule la condamnation des coupables signifiera clairement que le cri des femmes a été entendu.

Les autorités de Cologne ont déjà exprimé leurs craintes à la veille du prochain carnaval de la ville. On les comprend, mais peut-être est-ce là l’occasion de réfléchir sur la signification profonde du Carnaval. Cette fête marque au solstice d’hiver la fin d’un cycle et le recommencement d’un nouveau, passage qui se fait pendant quelques jours sur le mode d’un «renversement» généralisé: le temps s’inverse (on remonte aux origines et aux comportements les plus primitifs), les rôles sociaux et sexuels s’inversent selon des rites ancestraux eux aussi, un Roi de substitution prend temporairement le pouvoir, amenant avec lui la levée des interdits et encourageant le port du masque qui rend les transgressions encore plus faciles… Bien évidemment, à la fin de la fête, ce Roi de substitution est brûlé comme le Bonhomme Hiver et les règles de la vie «normale» sont rétablies.

Cette façon des sociétés de libérer les pulsions pendant un temps limité est tellement «nécessaire» que les religions s’y sont pliées, des religions païennes au christianisme, dans un étonnant syncrétisme qui explique que le Carnaval puisse se dérouler de la Toussaint à l’Avent et de Noël au début du Carême.
Les débordements de la Saint-Sylvestre peuvent-ils se déchiffrer comme une forme de carnaval improvisé avant le carnaval «officiel», comme un moment de défoulement et d’oubli pour de jeunes immigrés qui vivent dans des conditions particulièrement précaires après avoir évité la mort de justesse. Je ne veux rien excuser. J’essaie simplement de comprendre ce qui a pu se passer. Si des réfugiés ont participé à de tels agissements, il faut certes le dire ouvertement et éventuellement prendre des sanctions. Mais pas les renvoyer à une mort quasi certaine dans leurs pays d’origine et encore moins condamner tous les réfugiés et la politique d’ouverture au nom de telles dérives.

Le remarquable film de Thomas Vincent Karnaval nous entraîne à Dunkerque où un jeune Nord-Africain, Larbi, sur le point de gagner Marseille pour y refaire sa vie, rencontre un couple de «locaux» complètement ivres, tombe amoureux de Béa (Sylvie Testud) qu’il séduit, même si elle aime encore son beauf de mari jaloux! Derrière cette banale histoire de trio, le cinéaste réussit à faire entendre dans la bouche de Dunkerquois pur jus des propos stupides et racistes que le Carnaval «libère» dans les beuveries fraternelles et les chants populaires, mais sans les juger et sans les mépriser. Karnaval (la fête comme le film) montre que le monde ne se divise pas en gens intelligents et gens bêtes, en bons et méchants, et que tous nous pouvons y laisser paraître ce que nous cachons soigneusement le reste du temps!

* Cinéphile.

Opinions Chroniques Serge Lachat

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lundi 8 janvier 2018

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