Genève et la menace terroriste
La récente alerte terroriste nous a rappelé que ni la Suisse ni Genève ne sont à l’abri d’une éventuelle attaque djihadiste. Mais les mesures prises – augmentation du nombre de policiers en armes, patrouilles et contrôles accrus, communication et communiqués de presse parfois intempestifs, arrestations de suspects – ont aussi légitimement soulevé des questions qui dépassent la simple colère des commerçants lésés par la baisse du nombre de chalands.
Reconnaissons d’abord que les autorités ont réagi correctement. Une fois alertées, elles ne pouvaient plus ignorer la menace et devaient prendre des mesures fortes. Quand un pilote est averti de la présence d’une bombe à bord, il n’a pas d’autre choix que d’atterrir au plus vite, d’évacuer ses passagers et de faire contrôler son avion. Il n’y a pas à discuter.
Cela étant posé, il n’est pas interdit de tirer des leçons de cette expérience et de se demander, en l’occurrence, si la menace n’a pas été surestimée, déclenchant une réaction excessive qui pourrait avoir des conséquences néfastes à long terme. Et de voir s’il ne convient pas d’améliorer les capacités d’analyse afin de donner aux menaces les réponses les plus appropriées possible.
Première question: l’origine de l’alerte, qui semble-t-il, a été donnée par un service de renseignement américain. Si tel est le cas, ce n’est pas anodin. Pas par une sorte de réflexe anti-américain malvenu, mais tout simplement parce que ce pays, depuis 2001, est engagé dans une guerre contre la terreur qui n’est pas la nôtre et dont les effets sont très controversés aux Etats-Unis même. Et aussi parce que leurs services de renseignements sont passés maîtres dans la manipulation, comme on l’a vu dans l’affaire des fausses armes de destruction massive qui ont servi à justifier l’invasion de l’Irak en 2003. Allié et ami, certes, mais pas toujours fiable.
Deuxième question: le déploiement visible de forces de police et la communication publique tous azimuts sont des outils à double tranchant. Insuffisantes, elles ne servent à rien, excessives, elles font effet contraire car elles décrédibilisent les autorités qui risquent de ne plus être prises au sérieux et peuvent conduire à un relâchement de la vigilance et à une démobilisation. Bof, se dira-t-on lors de la prochaine crise, inutile de s’en faire puisque de toute façon il ne se passera rien. Or, en cas de crise, la communication doit être savamment contrôlée. Il doit y en avoir assez, pour que la population adopte un comportement adéquat, et pas trop afin de ne pas semer inutilement la panique. La bonne communication repose sur trois règles: ce qu’on dit, comment on le dit et, surtout, ce qu’on ne dit pas. Or, dans l’affaire genevoise, il y a eu trop d’intervenants qui donnaient l’impression de se faire concurrence pour mieux tirer la couverture à soi.
La question des cibles ensuite: même si Genève est une ville internationale et qu’il convient de protéger missions et organisations internationales, il ne faut pas oublier qu’elles ne sont pas le cœur de cible des djihadistes, qui leur préfèrent les terrasses de café, les boîtes de nuit, les écoles, les rédactions de journaux ou les magasins casher, beaucoup moins bien gardés. Enfin, n’oublions pas qu’il n’y pas de poissons sans eau: pour organiser leurs coups, trouver des planques, de l’argent, des véhicules et des appuis, les terroristes ont besoin d’un milieu adéquat. La Suisse, heureusement, n’offre pas un terreau très favorable de ce point de vue.
Dernière interrogation: une riposte excessive comporte toujours des risques pour les libertés publiques. Heureusement, l’alerte genevoise n’a pas débouché sur ces funestes dérives. Mais l’exemple français donne à réfléchir. Dans sa hâte à montrer sa fermeté, le gouvernement Valls a aussitôt fait voter l’état d’urgence pendant trois mois et envisage de changer la constitution pour le faire durer six mois. Cela juste après l’adoption d’une loi sur le renseignement liberticide.
Espérons que, maintenant que les élections régionales sont passées, on renoncera à cette modification constitutionnelle. Car il ne faut pas oublier – et l’histoire est ô combien riche dans ce domaine – que des changements d’apparence innocents, pris pour le bien et la sécurité des citoyens, ont des décennies plus tard, dans des circonstances tout à fait différentes, servi à justifier la fin des libertés et la dictature. Donc la prudence s’impose, surtout quand on prétend agir pour notre bien…
* Directeur exécutif du Club suisse de la presse.