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Malgré les apparences…

SOCIÉTÉ • L’actuel sursaut sécuritaire ne résoudra pas la «gigantesque crise du sens» que nous traversons, selon Dominique Froidevaux, de Caritas, qui plaide pour un renforcement du lien social.

Eradiquer le mal! Tel est le mot d’ordre après les attentats meurtriers de Paris. Traque des assassins, manœuvres de guerre… Le théâtre des opérations occupe les consciences et pointe les coupables. Nul doute qu’il faut agir. Plus vite et plus fort que jusqu’ici. Une question lancinante demeure pourtant: de quoi cette odieuse violence est-elle le symptôme?

Nombreuses sont les pistes de réflexion qui ont déjà été explorées: mal des banlieues, ruptures sociales, absence de perspectives, sentiment d’injustice, dévoiement pervers du sacré. Des jeunes sans avenir basculent abruptement sous l’emprise d’une idéologie de haine prenant la religion comme prétexte. Sans discernement. En face: une formidable incompréhension. Un abîme de questions, même chez les proches des assassins en plein désarroi.

Alors quoi? Que faire après le démantèlement de certains réseaux et au-delà du déploiement militaire et sécuritaire annoncé? Peut-on espérer tout «éradiquer» de la sorte? La crise n’est-elle pas plus globale? Plus généralisée? On ressort drapeaux et grandes proclamations de valeurs. Cela suffira-t-il à enrayer la gigantesque crise du sens que nous traversons collectivement?

Osons un rapprochement incongru. L’Observatoire suisse de la santé (OBSAN) nous met sous le nez un profond sentiment de détresse de nos concitoyens. Les chiffres genevois sont inquiétants: 23% de la population déclare souffrir de problèmes psychiques. Une enquête réalisée avant les attentats de Paris mais qui ramène à la même question: De quoi est-ce le symptôme? N’y a-t-il pas ici aussi de la violence? Sournoise, tournée en-dedans de soi. Sans kalachnikov. Mais de la violence quand même. L’enquête de l’OBSAN pointe des facteurs analogues à ceux qui sont souvent cités comme l’origine des dérives terroristes: ruptures, manque de soutiens sociaux et de perspectives. Inégalités, crise du sens et du lien. Encore!

Ces personnes en souffrance malgré les apparences, nous en rencontrons régulièrement dans nos consultations. Elles ont besoin ­d’écoute. De soutien. Elles nous interpellent sur le monde dans lequel nous vivons. Elles ne préparent pas des attentats. Elles n’en méritent pas moins notre considération. Que retenir de ces divers symptômes si différents? Qu’ils sont peut-être le signe d’un malaise collectif que peinons à analyser en profondeur et qu’un sursaut sécuritaire ne résoudra pas sur le long terme.

Le président du Conseil italien, Matteo Renzi, a indiqué une voie à retenir: pour chaque nouveau franc investi dans la sécurité, mettons-en un aussi pour la culture et le lien social. Eradiquer est difficile. Planter est toujours nécessaire et prometteur. Il nous faut prendre soin d’un accès pour tous à ce qui nous rattache les uns aux autres tout en libérant nos forces de vie. Qu’attend-on pour le faire ici aussi en dépit d’un climat budgétaire morose? Avant qu’il n’y ait davantage de dégâts qui pourraient nous coûter bien plus cher que ce que nous imaginons.

* Directeur de Caritas-Genève, www.malgre-les-apparences.ch

Opinions Agora Dominique Froidevaux

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