Un (trop) petit pas
La semaine dernière, Addis Abeba a servi de cadre à la troisième Conférence internationale sur le financement du développement. Les Objectifs du développement durable (ODD) doivent prendre le relais des Objectifs du Millénaire pour le développement qui expirent cette année. Ils tracent un cadre ambitieux pour mettre la planète sur la voie d’un avenir durable d’ici à 2030. Parmi eux figurent notamment l’éradication de l’extrême pauvreté, la protection et la conservation de nos écosystèmes ainsi qu’un changement de cap vers des structures de production et de consommation durables. Les pays en développement ont réussi à faire passer leur demande de discuter du financement de cet agenda global déjà avant l’adoption des ODD par l’Assemblée générale de l’ONU. Car jusqu’ici tout le monde s’accorde à dire que d’énormes sommes seront nécessaires pour réaliser les ODD….
Pays hôte de la Conférence sur le financement du développement, l’Ethiopie est elle-même un des pays les plus pauvres de la planète. Elle est confrontée à des défis majeurs: près des deux tiers de sa population doit survivre avec moins de deux dollars par jour et le taux d’analphabétisme et la mortalité infantile y sont considérables. La conférence d’Addis Abeba n’avait pas pour ambition de mettre une somme d’argent concrète à disposition. A lui seul l’argent ne suffit pas pour atteindre les ODD. La conférence devait bien davantage montrer les conditions qui doivent être remplies pour un tel développement: des modifications du système financier international jouent un rôle capital pour rendre disponibles et utilisables les flux financiers actuels destinés au développement. Sur ce chapitre, la conférence n’a pas su activer les modifications structurelles nécessaires.
Un rapport de l’ONU relève que l’Afrique perd quelque 50 milliards de dollars par année du fait des flux financiers illicites. C’est deux fois le montant que le continent reçoit chaque année au titre de l’aide au développement. En raison des données disponibles restreintes, on peut admettre que ces flux sont bien supérieurs.
Une revendication cruciale d’Alliance Sud est donc de lutter efficacement contre ces flux financiers illégaux pour empêcher que des fonds soustraits à l’impôt ou illégalement acquis soient transférés dans des oasis fiscales à l’étranger. Une collaboration étroite entre les pays d’origine et les pays cibles des fonds est donc impérative. Or les règles fiscales internationales sont pour l’heure dictées par les riches nations industrialisées au sein de l’OCDE. Depuis longtemps, les pays en développement exigent par conséquent une collaboration en matière fiscale, avec droit de regard égal, dans le cadre de l’ONU. La conférence d’Addis Abeba aurait pu saisir l’occasion de créer enfin un organisme intergouvernemental sur les questions fiscales. Et ce d’autant plus que les pays industrialisés exigent que les pays en développement mobilisent davantage de ressources propres, autrement dit augmentent leurs recettes fiscales nationales. Mais les pratiques légales d’évasion fiscale et de transfert des bénéfices des multinationales sont les premiers obstacles à la mobilisation des ressources domestiques. Utilisant leur position de force, les pays de l’OCDE se sont opposés jusqu’à la dernière minute à la création de ce nouvel organisme, au risque de faire échouer la conférence. Les pays en développement ont cédé et le document final élude toute mention à un organe sur les questions
fiscales.
Les deux prochaines conférences auront lieu à New York et à Paris. Une chose est sûre: de nombreux pas importants sont encore nécessaires pour éradiquer la pauvreté et ralentir le réchauffement de la planète.
* Eva Schmassmann est responsable du dossier politique de développement d’Alliance Sud.