Chroniques

Retour au mâle

Mauvais genre

On les croyait toutes nymphomanes. Il faut pourtant nuancer: ce qui les fait se mettre à l’horizontale serait plutôt leur goût pour la verticale; un certain sens de la hiérarchie – masculine évidemment. Du moins si l’on en croit cet expert en la matière qu’est Dominique Strauss-Kahn. Au cours de ce qu’on a appelé le «procès Carlton», l’ancien candidat à la magistrature suprême française n’a pas manqué d’expliquer les faveurs que de jeunes et jolies femmes semblaient lui accorder en toute spontanéité, par la plus simple des raisons: «Ce qui fait le pouvoir de séduction d’un homme ne tient pas seulement à son physique, mais aussi à sa position sociale.» Parole de socialiste, qui s’y connaît en bonnes positions.

Il a dû toutefois déchanter: pour émouvoir ces dames, il en avait fallu davantage; un petit coup de pouce financier. C’est qu’on doit parfois forcer les choses, même quand on est mâle, et sur la plus haute branche.

Mais aussi entre mâles. Il paraît que depuis quelque temps, dans les universités américaines, les bizutages gagnent en ampleur. La pratique ne date pas d’hier; on la considérait comme le passage par certaines épreuves à des fins d’initiation, pour une entrée réussie sur le campus. Ici ou là, on s’efforçait de créer la surprise chez les novices, on se voulait original; dans la plupart des cas, à l’inverse, sous prétexte de «rituels», on se montrait d’un conventionnalisme qui n’hésitait pas à sombrer dans la débilité. Mais ramper dans la boue, se faire arroser de ketchup, courir nu la nuit dans un bois était censé vous ouvrir tout grand l’accès à la route aux diplômes. Il semble toutefois qu’on se soit lassé de ces brimades trop coutumières, répétitives, et qu’on ait pris davantage conscience du pouvoir des images; qu’on ait cherché à étendre l’audience de ce qui restait limité à des cercles fermés. Or saouler des bizuts, même jusqu’au coma éthylique, ne suscite que très peu de clics sur la Toile; en revanche, la contrainte, voire les sévices sexuels auraient leurs inconditionnels. On postera donc une vidéo avec les petits derniers accordant des gâteries bien humiliantes aux aînés, qui s’esclaffent d’un bon rire, tout ébahis et réjouis de ce qui leur est ainsi accordé. Cela ressemble à des viols collectifs, mais sur un campus, bien sûr, on n’y verra qu’un examen d’admission. Cela pourrait pousser à s’interroger sur l’orientation sexuelle des organisateurs, dès lors qu’on n’est qu’entre hommes, mais il ne s’agit que de faire entrer la virilité et toutes ses sensations dans la tête des plus jeunes, par des voies diverses. Puis l’avantage de la caméra est qu’on peut les inviter en tout temps à visionner leurs exploits; pour leur rappeler qui, dans les dortoirs, a droit à la couchette du dessus; et que les internautes du monde entier le sauront aussi bien qu’eux.

Mais le retour de l’affirmation de la virilité ne se limite pas aux initiations estudiantines; de manière un peu plus clandestine, il se manifesterait également dans certains milieux homosexuels. Il y avait autrefois les «cuirs», les «bears»; mais ce n’était que costumes et pilosité; pure surface, simple apparence. Puis sont apparus les «barebackers». Ceux qui ne se protègent pas, dans les relations sexuelles. Nullement par inconscience, pour avoir oublié le préservatif, pour n’y avoir pas songé, ou parce qu’ils auraient la conviction que tout se guérit aujourd’hui. Non, comme le précise un chercheur de l’Université de Lausanne, Gary Crosilla, que le magazine 360° cite dans son numéro de février: le barebacker le fait délibérément, intentionnellement – son niveau d’éducation serait d’ailleurs élevé. Non seulement il connaît les risques auxquels il s’expose, mais il aspire à les affronter, en preux chevalier des temps modernes, brandissant la lance ou s’offrant à ses coups, fussent-ils donnés en traître, à la Ganelon, dès qu’on a le dos tourné. Sans peur ni reproche, il n’hésite pas à se jeter dans la mêlée, car, comme l’exprime l’un de ces nouveaux paladins dans la langue si colorée qui leur est propre: «Pour moi, un mec qui est capable de se faire prendre à la chaîne par une dizaine d’autres, je dois dire que ça inspire le respect.» C’est en effet une grande preuve d’ouverture, et cette valeur-là ne saurait être trop cultivée. Mais d’autres encore, plus paradoxales, viendraient s’y ajouter, comme l’amour et la fidélité, par la recherche d’une marque à la fois indélébile et délétère. Les taulards des maisons d’arrêts chères à Jean Genet se tatouaient bêtement l’avant-bras d’un «A Lulu pour la vie»; les barebackers d’aujourd’hui, eux, n’ont pas seulement leurs amants dans la peau, ils en sont embrasés: tu m’as donné le virus, il coule en mes veines, ta trace est à jamais en moi, j’en suis tout HIV. Des mecs, on vous dit, durs et tendres à la fois. Aussi convient-il de leur rendre le plus respectueux des hommages, en ce 8 mars qui est journée des femmes: celles-ci sauront d’ailleurs reconnaître à quelle hauteur la barre est ainsi mise.

*Ecrivain.

Opinions Chroniques Guy Poitry

Chronique liée

Mauvais genre

lundi 8 janvier 2018

Connexion