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La laïcité, une nouvelle religion?

RELIGIONS • Le terme «laïcité» se prête à plusieurs définitions. Selon certaines acceptions, il habille un discours d’exclusion, relève Daniel Barbu, historien des religions.

Qu’est ce que la laïcité? Le principe de laïcité, c’est la séparation de l’Eglise et de l’Etat; c’est-à-dire, plus généralement, que les religions, ou plutôt les institutions religieuses, n’interfèrent pas avec l’Etat, ou les institutions publiques (la res publica). Au sens premier, il faut sans doute le rappeler, être «laïque» signifie ne pas être «religieux», c’est-à-dire ne pas être clerc ou moine. Je suis moi-même «laïque» dans un autre sens encore, à savoir que je ne m’identifie pas à une «religion», à un ensemble de croyances, de mythes et de pratiques rituelles. Ce qui ne revient pas à dire que je suis hostile.

Le discours en vogue aujourd’hui chez certains idéologues de la «laïcité» transforme celle-ci en étendard de la civilisation européenne, héritée des Lumières, caractérisée par sa prétendue liberté de penser et sa liberté d’expression. La religion, nous dit-on, ne doit pas déborder sur la sphère publique – comme si nous ne vivions pas dans un pays dont l’emblème est une croix et où l’hymne national s’apparente à une prière au Dieu tout puissant. On nous répète que «la religion n’a pas sa place à l’école» alors même que les enfants ont congé le jour de l’Ascension et, très naturellement, se réjouissent des vacances «de Noël».

Non, la religion n’a pas sa place à l’école; du moins pas celle des autres, il faut bien l’admettre. Votre enfant ne mange pas de porc? Il faut s’adapter, faire comme tout le monde. Pourquoi? C’est la «laïcité». Ce discours, totalement déconnecté des réalités sociologiques et historiques du monde dans lequel nous vivons, enfermé dans son eurocentrisme (pour ne pas dire son christiano-centrisme) me paraît hautement problématique, d’autant plus qu’il prétend être un discours «non-religieux», c’est-à-dire «laïque», ce qu’il n’est pas. Il n’y a somme toute rien de «naturel» à ce que le dimanche, on ne travaille pas (sans doute le capitalisme, lorsqu’il fait ouvrir les commerces le dimanche, est-il de fait la seule laïcité qui vaille). On crie au scandale lorsque une communauté religieuse (entendez, d’autres religions) prétend aux mêmes droits que le citoyen lambda, à savoir que ses convictions personnelles, ses croyances, ses coutumes, à défaut d’être imposées à tous, soient au moins respectées. L’abattage rituel, répète-t-on, est contraire à nos «valeurs»; les carrés confessionnels dans les cimetières (entendez, si vous êtes d’une autre confession) sont interdits dans un système «laïque»; la kippa, le voile sont désignés comme autant de «signes ostentatoires» de la religion. Et le reste?
La «laïcité», dans cette perspective, est un discours d’exclusion, avec lequel je ne m’identifie pas. Il me semble que le vivre-ensemble (fut-il social ou conjugal) commence par la politesse et le respect d’autrui. L’école «laïque», c’est une école où plusieurs points de vue sont possibles; pas une école où un seul point de vue fait loi, au nom d’un principe transcendant de Vérité, fut-il «laïque» ou «religieux».

La laïcité, il faut s’en souvenir, est un mot, pas une chose, et comme tous les mots, elle peut vouloir dire plusieurs choses. Gardons-nous d’en faire une religion.
 

* Historien des religions, Université de Berne.

Opinions Agora Daniel Barbu

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