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«Connais-toi toi-même!»

MULTICULTURALISME • A la lumière d’événements récents – manifestations de Pegida en Allemagne et attaque du journal Charlie Hebdo en France –, Martina Schmidt, de Pain pour le prochain, mise sur le dialogue interreligieux et l’aide au développement pour favoriser l’ouverture à l’autre.

Les manifestations anti-islam qui secouent l’Allemagne ces dernières semaines expriment un profond malaise, celui d’une culture occidentale en perte de repères. Malaise renforcé par l’insécurité sociale grandissante, le chômage et la peur d’un avenir incertain. Comment serait-il possible sinon que l’appel contre «l’islamisation de l’Occident» du mouvement Pegida parvienne à réunir des milliers de personnes dans les rues de Dresde, brandissant le drapeau allemand? Comment expliquer le paradoxe que 15 000 personnes entonnent des chants de Noël sur la place publique alors que les Eglises sont en perte de vitesse et le nombre de fidèles en constante diminution? S’appuyant sur une anthropologie chrétienne, le mouvement se réclame de la tradition de l’Occident chrétien en utilisant des symboliques religieuses. Juste avant Noël, on distinguait dans les rangs des manifestants la réplique d’une immense croix illuminée drapée dans les couleurs de la nation allemande.

Fort heureusement, des contre-manifestations s’organisent dans d’autres villes allemandes (Berlin, Munich, Cologne) pour protester contre l’attitude raciste et xénophobe de Pegida. Face à l’appel des chants de Noël, les représentants d’Eglise dénoncent une instrumentalisation de la religion et le déguisement religieux d’un comportement raciste. Mais l’instrumentalisation ne s’arrête pas à la référence aux symboles religieux. Avec les «Manifs du lundi», le mouvement se saisit aussi de la mémoire de la réunification des deux Allemagnes qui mettait fin à la guerre froide et qui fait désormais partie du patrimoine culturel occidental. Il récupère ainsi un symbole de la mobilisation populaire pour sa cause.

Ces rassemblements qui font l’amalgame entre l’islam et l’extrémisme islamique ne constituent pas seulement une atteinte à la liberté religieuse et culturelle des communautés musulmanes en Europe. Ils appellent aussi, qu’elles le veuillent ou non, à la haine de l’autre et préparent le terreau du terrorisme et de la guerre entre les civilisations. L’acte terroriste sauvage qui a coûté, mercredi à Paris, la vie à douze personnes de la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo et qui a fait onze blessés n’est que la pointe de l’iceberg. Il révèle un problème bien plus profond, celui des cultures qui ne se comprennent plus. Des hommes se font instrumentaliser pour abattre froidement des êtres humains en brandissant le nom du «Dieu le plus grand». De telles dérives dans la civilisation moderne deviennent possibles à cause du manque de formation, de la méconnaissance de sa propre culture et de celle de l’autre, soit par la perte d’identité due à la précarisation grandissante dans une société mondialisée toujours plus inégale.

L’adage de Socrate «connais-toi toi-même» prend alors tout son sens. Pour comprendre les autres, il faut comprendre sa propre culture, ses valeurs, son histoire et ses origines. Le «connais-toi toi-même» signifie bien ce devoir humain de prendre conscience de sa propre finitude pour éviter de se prendre pour Dieu. Toutes les religions – l’islam également – connaissent cette limite humaine qui met l’homme à sa juste place face à une force transcendante qui échappe à toute instrumentalisation humaine.

Autant les manifestations contre «l’islamisation de l’Occident» que l’attentat tragique contre les défenseurs courageux de la liberté d’expression de la presse satirique révèlent la perte de repères d’une culture non comprise par ses propres adhérents. Entonner des chants de Noël mélangés à des propos islamophobes sur la place publique relève d’une réduction bien pauvre de la culture judéo-chrétienne. Dans le contexte de sociétés multiculturelles, le geste ne peut être perçu que comme une provocation et une attitude fasciste qui exclut les autres. Le fait que l’enfant d’un charpentier juif migrant soit né «sur la paille» ne semble préoccuper personne parmi les manifestants du mouvement Pegida. Pourtant, christianisme et judaïsme, dans leurs textes fondateurs, réservent une place privilégiée à l’accueil de l’étranger et à l’ouverture à l’autre.

Le drame de mercredi réunit autorités politiques, représentants des religions et citoyens pour défendre d’une seule voix la liberté d’expression et refuser l’obscurantisme. Or, l’analyse de ce drame ne peut pas s’arrêter à la condamnation de l’acte terroriste. Reprenant les propos du dessinateur de presse Barrigue, le soutien à la liberté d’expression de la presse indépendante, au service de la formation de l’opinion publique, devrait se faire tout au long de l’année et pas seulement quand les drames se produisent.

Aucune culture ne peut prétendre être supérieure et ce sont la diversité des expressions culturelles et la pluralité des modes de vie qui doivent cohabiter paisiblement sur une même planète. C’est à ce niveau que les religions ont plus que jamais un rôle à jouer. Le dialogue interreligieux et interculturel constitue un puissant levier pour favoriser la compréhension de l’autre, la prise de conscience de nos valeurs communes et l’aspiration humaine universelle à une vie digne.
L’autre levier est celui de la coopération au développement dans les pays défavorisés. Tout au long de l’année, les organisations comme Pain pour le prochain se mobilisent pour soutenir les populations dans leurs efforts pour défendre leurs droits sociaux, économiques et culturels. L’accès à l’alimentation et le fait de pouvoir développer une économie locale en sont au cœur. Le contexte de chaque pays est différent. Chaque culture a ses spécificités. Mais il y a une valeur constante et universelle, au-delà des frontières culturelles et religieuses: les populations des pays en développement unissent leurs forces pour se mobiliser et travailler ensemble pour une vie meilleure.
 

* Secrétaire romande de Pain pour le prochain, organisation de développement des Eglises protestantes de Suisse.