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Face aux sirènes du tout-sécuritaire, remettons les choses à leur place!

DÉTENTION • Préoccupée par la situation dans les prisons genevoises surpeuplées, la conseillère nationale Maria Bernasconi demande au canton de s’émanciper du discours sécuritaire et d’étudier des alternatives à l’internement.

Votation du 9 février mise à part, la sécurité est devenue le thème numéro un en Suisse. Le discours dominant, c’est la sécurité à tout prix avec risque zéro. Le problème, c’est que le risque zéro n’existe que dans les dictatures… Ne tombons pas dans le piège antidémocratique: il ne suffit pas d’enfermer des personnes, qui n’ont d’ailleurs parfois rien à faire en prison. La prévention de l’insécurité passe par un large travail effectué en amont, par exemple en investissant dans le service public, en favorisant le travail des grands frères et grandes sœurs, en améliorant la convivialité dans les quartiers (en favorisant la mixité, les zones piétonnes ou à mobilité réduite, les espaces de rencontres), etc.

Parallèlement, la population doit prendre conscience qu’elle est manipulée par certains médias, par une presse de boulevard perpétuellement à l’affut des scandales, quitte à en créer soi-même, l’objectif étant de vendre un maximum d’exemplaires. L’opinion publique est ainsi manipulée par des gros titres mensongers, par des faits divers montés en épingle, comme dans l’affaire Carlos exploitée à l’excès notamment par le Blick. Sous la pression d’une opinion publique scandalisée qu’un jeune délinquant coûte si cher à la société, Carlos, qui bénéficiait d’un traitement en milieu ouvert, a été renvoyé au cachot. Terrorisés face au pouvoir des médias populistes, les autorités leur laissent désormais le soin de faire la politique: c’est le monde à l’envers…

Genève aussi subit ce discours sécuritaire, qui place la sûreté avant le respect des droits humains. La situation des prisons genevoises est extrêmement préoccupante: au problème de surpopulation carcérale le plus aigu de Suisse s’ajoute un mélange détonant de détenus sous des régimes de peines différents, qui, pour ne rien arranger, proviennent de cultures et de nationalités parfois antagonistes, le tout dans une promiscuité insensée et sous surveillance d’un nombre insuffisant de gardiens. On aurait voulu créer une poudrière qu’on ne s’y serait pas pris autrement…

Les autorités genevoises ont exprimé leur refus de libérer les prisonniers les moins dangereux et dénoncé les complications qu’entraîne l’arrêt du Tribunal fédéral, selon lequel les conditions de détention à Champ-Dollon sont non seulement humainement dégradantes mais aussi illicites. Pierre Maudet a même jugé utile de mettre en garde contre une inversion des rôles victimisant les criminels. Teintée de populisme, cette réaction est d’autant plus malvenue qu’elle provient d’un représentant de la capitale des Droits humains.

Puis-je rappeler qu’un tiers des détenus de Champ-Dollon n’ont pas encore été jugés et, à ce titre, bénéficient de la présomption d’innocence? Et puis, criminels ou pas, tout être humain a des droits dont l’Etat doit se faire le garant. Avec 3,83 m2 par détenu, Champ-Dollon n’atteint même pas la norme européenne…

Inspirons-nous des pays qui réussissent à faire baisser le nombre de détenus, comme les Etats-Unis, dont certains Etats cherchent des alternatives à la prison. La Suède a réussi à faire baisser la criminalité de 6% entre 2011 et 2012, notamment parce qu’elle a une toute autre approche, consistant non à enfermer des gens mais à soigner des prisonniers. Les toxicomanes notamment bénéficient de peines plus légères et sont traités par thérapie. La politique de la Suède n’est pas angélique puisque, parallèlement à la volonté d’incarcérer moins, le pays a intensifié la réponse pénale aux délits: elle sanctionne plus rapidement ceux qui enfreignent la loi, mais les met moins facilement en prison. L’Allemagne et les Pays-Bas également favorisent les programmes de réhabilitation des détenus avec des succès évidents. Je souhaite que les autorités genevoises prennent des mesures rapides pour éviter un drame à Champ-Dollon et se penchent avec attention sur toutes les alternatives possibles à l’enfermement, car beaucoup de personnes pourraient en bénéficier sans danger pour la société.

* Conseillère nationale socialiste genevoise.

Opinions Agora Maria Bernasconi

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