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Personne n’est personne

SOCIÉTÉ • Castration des criminels sexuels et rétablissement de la peine de mort refont actuellement surface dans les débats publics. Des moyens inefficaces et contraires aux droits humains, rappelle Liliane Maury Pasquier.

Pourquoi ne pas castrer les criminels sexuels? Et, pendant qu’on y est, rétablir la peine de mort en Suisse? L’émotion qui, actuellement, fait ressurgir ces questions est bien compréhensible. Les réponses que l’on y apporte doivent, elles, être rationnelles et viser l’efficacité.

Or, contrairement aux idées reçues, la castration chirurgicale ou chimique n’est pas la panacée. Veronica Pimenoff, experte du Comité pour la prévention de la torture, et Jean-Georges Rohmer, psychiatre spécialisé dans la prise en charge des auteurs de violence sexuelle, soulignent l’aspect dégradant de l’intervention et, surtout, son inefficacité. La castration d’un délinquant sexuel ne supprime pas le risque de récidive. En particulier si l’auteur de l’infraction est dans le déni, comme c’est souvent le cas. Selon le Conseil fédéral, «la castration chimique, en tant qu’elle inhibe la fonction sexuelle, n’entraîne pas nécessairement la disparition des phénomènes de violence»1 value="1">Réponse du 25.11.1996 à la Question ordinaire 96.1084.. Elle ne permet pas de soigner la principale pathologie du délinquant: la volonté de dominer d’autres êtres humains. Les délinquants castrés ont donc tendance à récidiver en utilisant des moyens autres que sexuels, notamment la torture. En outre, «l’effet inhibiteur du traitement thérapeutique peut être […] neutralisé, contrecarré, voire complètement annihilé par l’absorption de divers excitants ou d’hormones agissant sur la fonction sexuelle». Comme, par exemple, la testostérone disponible sur internet.

Le Conseil fédéral en conclut que la castration chimique, même réversible, d’une personne qui n’y consent pas n’est pas adéquate et viole donc le droit fondamental à la liberté personnelle. Pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), la castration forcée ou fortement induite – par exemple, lorsqu’elle est posée comme condition d’une libération – constitue une violation des droits humains. Des droits dont jouissent aussi les délinquants sexuels, aussi odieux soient leurs crimes. Dans sa Résolution 1945 de juin 2013, l’APCE souligne que «les […] castrations forcées ou imposées ne peuvent se justifier d’aucune manière au XXIe siècle: il faut qu’elles cessent.» L’APCE invite donc les Etats membres à réviser si nécessaire leur législation et leurs politiques. Elle les enjoint aussi d’œuvrer contre les stéréotypes et les attitudes paternalistes du corps médical.

Cette résolution fait suite à un rapport que j’ai présenté devant l’Assemblée, sous le titre «Mettre fin aux stérilisations et castrations forcées». Ces deux graves violations des droits humains sont dues à un même processus: celui qui voit la peur mener à des dérives, par souci de contrôler une menace réelle ou simplement perçue comme telle. Ainsi, le programme suédois de stérilisation eugénique du début du XXe siècle visait surtout des femmes susceptibles de devenir une charge pour la sécurité sociale. En Suisse, ce n’est qu’en 1985 que le canton de Vaud a abrogé sa disposition légale permettant la stérilisation des personnes atteintes de maladie mentale qui «ne peuvent avoir qu’une descendance tarée». Des excuses officielles ont certes été présentées aux personnes placées en détention administrative et à celles mises, enfants, dans des familles ou foyers. Et un projet de loi fédérale sur la réhabilitation des personnes placées par décision administrative est en cours d’élaboration. Mais, si les victimes de «mesures de coercition à des fins d’assistance» ont désormais droit à des prestations de conseil, les victimes suisses de stérilisation forcée attendent toujours d’être réhabilitées et indemnisées… Ailleurs dans le monde, aujourd’hui, la stérilisation sans consentement menace particulièrement les femmes roms ou handicapées.

La protection de ces femmes est évidemment essentielle, comme l’est celle des victimes potentielles des délinquants sexuels. Ce qui n’est pas une raison pour faire de ces délinquants, à leur tour, des victimes. C’est pourquoi la peine de mort n’est pas défendable. Autour de ce 10 octobre, Journée mondiale contre la peine de mort, rappelons que cette sanction fait de nombreuses victimes d’erreurs judiciaires forcément irréparables. Parmi les personnes condamnées, une large part de personnes pauvres ou appartenant à une minorité: une fois de plus, la peur de la «différence» est à l’œuvre! La peine de mort est, en outre, inefficace. En reproduisant ce qu’il veut interdire (tuer), l’Etat brouille les pistes: il est avéré que la peine de mort n’a aucun effet dissuasif.

Si castrer de force ou tuer les délinquants sexuels condamnés est à la fois inefficace et contraire aux droits humains, la société doit tout faire pour prévenir la récidive. Notamment en améliorant le suivi socio-judiciaire après leur sortie de prison. La société doit aussi prévenir le passage à l’acte, à l’exemple du projet allemand «Dunkelfeld» d’assistance psychiatrique anonyme et gratuite pour les pédophiles. En Suisse aussi, des pistes sont à l’étude pour prévenir le passage à l’acte en matière d’abus sexuels sur les enfants2 value="2">Cf. Ancona L. & Boillat F. (2012). Abus sexuels envers les enfants. Eviter le premier passage à l’acte. Etat des lieux et analyse de la situation au niveau international. Perspectives pour la Suisse romande. Monthey: Editions DIS NO.. Pour sa part, la Campagne «Un sur cinq» du Conseil de l’Europe sensibilise le public aux différents moyens, efficaces et respectueux des droits humains, de protéger les enfants contre la violence sexuelle. Mais quand violence il y a eu, tout en veillant absolument à obtenir réparation pour les victimes et à poursuivre les coupables, nous devons trouver une façon de préserver leurs droits à eux aussi. Et, ce faisant, chercher à protéger les membres de la société de manière vraiment efficace. Parce que toute personne doit être respectée, quelle qu’elle soit.
 

Notes[+]

* Conseillère aux Etats, vice-présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE).

Opinions Agora Liliane Maury Pasquier

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