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L’Unesco en danger

ONU • Licenciements à l’Unesco en vue fin 2013? Un budget amputé de 22% – le prix du retrait étasunien en 2011 –,  l’inaptitude de la direction à gérer la crise et l’attitude de certains Etats membres ont plombé l’organisation onusienne.   

Dans à peine un mois, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation,  la science et la culture (Unesco) aura élu un nouveau directeur général ou renouvellera le mandat de l’actuelle titulaire du poste, la bulgare Irina Gueorguieva Bokova, pour une période de quatre ans (2013-2017). En ce mois de septembre, les discussions ont commencé entre les 58 Etats membres du Conseil exécutif qui choisiront, par vote à bulletin secret, le nom de la personnalité qu’ils recommanderont à la Conférence générale, pour le vote final de novembre 2013. L’indifférence des grands médias est assourdissante: qui s’intéresse, en dehors de quelques rares réseaux sociaux, à cette Belle au bois dormant qu’est devenue l’Unesco depuis plus d’une décennie? Alors, comme l’a dit sous forme de boutade provocatrice le cinéaste Frédéric Rossif, «l’Unesco, inutile comme Mozart?». Quoi de plus noble, en effet, que d’avoir pour mission la défense de l’idée que l’éducation, la science et la culture, constituent des moyens décisifs pour atteindre la prospérité et la paix, des valeurs aussi enrichissantes et immatérielles que l’œuvre du compositeur autrichien?

L’Acte constitutif de l’Unesco, adopté à Londres en novembre 1945, affirme que c’est le «reniement de l’idéal démocratique, de dignité, d’égalité et de respect de la personne humaine et (…) la volonté de lui substituer, en exploitant l’ignorance et le préjugé, le dogme de l’inégalité des races et des hommes [qui a conduit à] la grande et terrible guerre qui [venait] de finir1 value="1">Préambule de l’acte constitutif, § 3.». Il précise encore «qu’une paix fondée sur les seuls accords économiques et politiques des gouvernements ne saurait entraîner l’adhésion unanime et durable et sincère des peuples et que, par conséquent, cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité2 value="2">op. cit., § 5.». L’organisation doit se montrer créative pour défendre les valeurs culturelles face aux valeurs marchandes.
L’Unesco traverse une crise majeure entamée avec la fin des subventions américaines en novembre 2011. Par son retrait financier, Washington entend sanctionner l’admission de la Palestine comme Etat membre. Le budget de l’organisation est ainsi amputé de 22%. Facteur aggravant, selon un rapport alarmant de la Cour des comptes (française), la direction se montrerait incapable d’adopter les mesures nécessaires pour faire face à une crise dont «le caractère inattendu (…) ne justifie en rien l’impréparation, tout au contraire, une gouvernance doit s’assurer que ses structures, sa culture de gouvernance et de gestion, ses procédures, et outils d’information et de gestion, lui permettent de répondre sans délai aux événements les plus improbables3 value="3">Rapport d’audit du commissariat aux comptes de l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture, 191 EX/28, partie II, 10 avril 2013, § 144.». Le document critique «un ensemble de réformes… engagées à un rythme trop lent et sans cohérence maîtrisée, faute d’une gouvernance stricte… Ce cycle de réforme, précis dans ses intentions mais dispersé dans sa réalisation, s’est trouvé d’une efficience limitée dès lors qu’il s’agissait d’une part de stimuler puis d’introduire un réel et profond changement de la culture de gestion de contrôle et de comportement, d’autre part de garantir la robustesse des changements introduits4 value="4">op. cit., § 144 et 145.».

Plus de 300 employés travaillant au siège de l’Unesco, à Paris et dans ses nombreux bureaux régionaux à travers le monde, sont menacés de licenciement dès la fin de 2013. Cependant, comme le soulignent des fonctionnaires sous couvert d’anonymat, la Cour n’a nulle part demandé de «procéder à une réduction drastique du personnel» comme l’a pourtant affirmé la directrice générale en s’adressant au personnel le 16 juillet 2013: «L’effort [doit porter] sur les facteurs les plus critiques de la gestion plutôt que sur un nombre limité de procédures administratives moins susceptibles de contribuer significativement à un rééquilibrage de l’économie d’ensemble de l’Organisation5 value="5">op. cit., § 147..» Seuls 15% des programmes prévus seraient aujourd’hui mis en œuvre. Un rapport du Service de recherche du Congrès des Etats-Unis fait des observations semblables à celles de la Cour des comptes en rappelant «que durant le retrait des Etats-Unis, entre 1984 et 2003, l’Unesco a pu remplir sa mission et mettre en œuvre de nombreux programmes sans l’aide financière des Etats-Unis6 value="6">Luisa Blanchfield and Marjorie Ann Browne «The United Nations Educational, Scientific, and Cultural Organization (UNESCO)» (PDF), Congressional Research Service – Report for Congress, Washington, 18 mars 2013, p. 13.». Le rapport américain conclut en recommandant au Congrès d’accroître la présence des Etats-Unis, pour exercer leur influence sur tous les programmes de l’Unesco compte tenu, notamment, du grand nombre et de l’influence des quelque 400 ONG qui travaillent avec l’Unesco dans le cadre de procédures permanentes de consultation.

Mais il serait trop facile de faire porter la critique sur la seule direction générale. Tout autant qu’avec celle-ci, c’est la manière dont se comportent les Etats membres eux-mêmes – en particulier la France, qui héberge l’organisation, ainsi que les pays de l’Union européenne – qui explique autant, si ce n’est plus, les dysfonctionnements relevés par la Cour. Le Groupe des 77 [coalition des pays en développement, qui compte actuellement 132 pays membres, ndlr] et la Chine insistent sur ce point. Dans une note du 17 septembre 2012, ils «demandent à l’Organisation le respect de son propre Acte constitutif dans sa coopération, en toute confiance et transparence, avec l’ensemble des Etats membres. Cela suppose, en toutes circonstances, l’application rigoureuse des principes qui régissent la relation entre les trois organes directeurs de l’Unesco: Conférence générale, Conseil exécutif et Secrétariat, chacun dans son rôle et à sa place, pour éviter toute confusion et conflit de compétence7 value="7">«Quel Avenir et quels défis pour l’Unesco?» (PDF), 190 EX/44, 17 septembre 2012.

* Paru dans «La Valise diplomatique», de la rédaction du Monde diplomatique.

Notes[+]

Opinions Agora Anne-Cécile Robert

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