Regard neuf sur les troubles psychiques
Yvan Perrin est-il fou? Est-il adapté à la politique? Ou l’est-elle à lui? Les médias se sont emballés à l’annonce, par le candidat à l’Exécutif neuchâtelois, qu’il souffrait selon ses propres termes d’une «faiblesse psychique». A considérer leurs réactions, on ne peut que se dire que le sujet ne cesse d’échapper à ceux qui cherchent à s’en saisir.
Est-ce par ignorance de la prévalence du phénomène, nombreux étant ceux qui semblent penser que l’on a là affaire à une situation exceptionnelle? Mais sait-on seulement qu’en Suisse, près d’un citoyen sur deux est appelé à connaître au cours de sa vie un problème d’ordre psychique? Autant dire que, lorsque l’on inclut les proches des personnes concernées, tout le monde l’est. Surtout si l’on considère que nul ne peut se prétendre immunisé contre un tel risque, risque qui concerne aussi bien les hommes que les femmes, les riches que les pauvres, les gens de gauche que les gens de droite, même si ce n’est pas toujours dans les mêmes proportions. Ou peut-être aussi parce que l’on cherche trop, ici comme en bien d’autres domaines, à catégoriser les individus, à porter sur eux des jugements tranchés, à séparer les moutons blancs des moutons noirs, là où le gris connaît en vérité bien plus de cinquante nuances.
Etre en bonne santé, être malade: ces notions ont pu connaître au cours de l’histoire des acceptions très différentes. Dans le domaine du psychisme, leur relativité est encore plus marquée. Outre une ignorance remarquable de leurs causes et une nosographie (description et classification méthodique des maladies, ndlr) encore hésitante, les troubles psychiques se caractérisent en effet par une forte composante fonctionnelle. C’est l’empêchement d’accomplir pleinement les actes de la vie «ordinaire» qui révèle la «maladie», non un scanner ou une prise de sang.
Cette dimension éminemment contextuelle – ce qu’est une vie normale n’a rien d’évident déjà ici et maintenant, a fortiori dans le temps et l’espace – devrait inciter à une grande prudence thérapeutique: il n’est pas de modèle valable pour tous et chacun doit être mis à contribution. Car les personnes concernées détiennent en propre une part de la solution à leurs problèmes. C’est à investir ces ressources parfois cachées que nous invite la philosophie du Recovery – improprement traduit par «rétablissement», aucun mot français n’exprimant correctement la nature processuelle de ce parcours en santé.
Le Recovery ne se veut pas une thérapeutique alternative. Il ne nie pas la maladie ni l’efficacité, voire la nécessité, de certains traitements quand ils sont pertinemment administrés, qu’ils soient psychothérapeutiques ou médicamenteux. Mais il attire notre attention sur le fait crucial que les individus ne peuvent et ne doivent être réduits à leurs troubles. Ni par leur environnement – qu’il soit familial, professionnel ou institutionnel – ni par eux-mêmes au premier chef.
La maladie a cette propension à l’envahissement qui peut mener littéralement à l’étouffement de soi-même comme des autres, comme le démontre à l’envi la problématique de la codépendance. C’est à cette prise de conscience fondamentale qu’invite en premier lieu le Recovery. Et c’est à partir de cette mise à distance de la maladie que peut se dessiner un chemin, certes souvent sinueux, de liberté et de bien-être. Il ne s’agit pas tant de guérir que «d’apprendre à vivre avec sa propre vulnérabilité»1 value="1">Voir la brochure de Pro Mente Sana, Recovery, Vers le rétablissement, Genève, 2011.. Sans promettre le bonheur, le Recovery nous rappelle simplement qu’il est possible de s’accomplir malgré le déterminisme souvent plombant de la maladie. C’est à la fois un message d’espoir et un encouragement à ne pas renoncer à mener une vie épanouissante.
C’est pour tenter de mettre en actes ce message au niveau institutionnel que l’association Pro Mente Sana s’est investie dans la mise en place d’une formation de pairs-aidants, qui devrait démarrer à l’automne. Adressée à des personnes qui ont connu des problèmes de nature psychique et qui s’en sont rétablies, cette formation vise à leur donner les instruments analytiques et pédagogiques qui leur permettront d’apporter ce nouveau regard au sein des équipes soignantes ou éducatives.
La philosophie du Recovery ne propose ainsi aucune recette; elle n’a rien à dire sur ce qu’est une vie bonne, si ce n’est qu’elle doit être le plus librement choisie et que cette liberté repose en grande partie sur nos capacités propres, qu’il s’agit donc de repérer et de développer. Plus qu’une philosophie normative, le Recovery est une méthodologie ou, comme le dit l’Américaine Patricia Deegan, figure phare de ce mouvement, «une attitude, une prise de position et un parcours».
C’est parce qu’ils témoignent précisément d’un tel parcours que Pro Mente Sana a choisi de publier les textes que l’on trouvera dans sa nouvelle brochure, Témoignages de Recovery, Récits de rétablissement en santé mentale. Non que les personnes qui s’y confient aient été inspirées par la philosophie du Recovery, dont elles ignoraient très certainement l’existence. Mais elles l’ont mise en acte par leur démarche.
Considérés dans leur ensemble, ces récits montrent bien la diversité des moyens qui peuvent être mis en œuvre et la multitude des ressources mobilisables pour se frayer au fil de la vie un chemin qui, sans être forcément rectiligne, n’en est pas moins praticable. Ils montrent également que ce parcours est sans destination, qu’il n’y a pas un état final à partir duquel on peut se dire guéri. C’est un processus permanent, qui connaît souvent des hauts et des bas, des allers et des retours.
Ces témoignages, qui sont présentés simplement par ordre alphabétique, sans hiérarchisation, tissent ainsi une trame complexe où santé et maladie se succèdent, se croisent ou cohabitent à des degrés divers. Rapportée aux vulnérabilités qui sont le lot de tout un chacun, cette trame devrait nous inciter à repenser le monde et notre rapport à lui, dans le sens de le rendre plus convivial et plus hospitalier. Car c’est le message universel de la souffrance que de nous rappeler à notre fragilité, à notre petitesse et à l’absolue nécessité de prendre soin de soi et des autres. I
«Les pensées ne sont que des pensées»
Marianne a 28 ans quand elle subit une première dépression, juste après la naissance de son premier enfant. Un mariage réussi, un travail prenant, une situation matérielle confortable: elle semble avoir tout pour être heureuse. Pourtant, elle ne cesse d’être poursuivie par ses propres pensées. Des pensées négatives, autodépréciatives, qui hantent cette jeune femme perfectionniste. Ni les médicaments ni la psychothérapie ne parviendront à prévenir les rechutes. C’est finalement par la méditation et le sport, entre autres, que Marianne trouvera des chemins de sortie. C’est aussi grâce à un cours sur le Recovery qu’elle suit chez Pro Mente Sana que s’opère chez elle une prise de conscience décisive: la dépression, dira-t-elle, fait pour ainsi dire partie de sa vie; un «espoir nuancé» est permis. «Une pensée négative n’est pas la porte ouverte à un état dévasté, se sentir heureux ne signifie pas la disparition à tout jamais de la moindre aspérité.»
Bipolaires, schizophrènes, dépressifs… Les personnes qui livrent leur témoignage dans le recueil de Pro Mente Sana évoquent comme Marianne l’enfer qu’elles ont traversé, mais aussi les remèdes tout personnels qu’elles ont su trouver à tâtons, au fil de leurs parcours singuliers, pour éloigner les crises et dompter la maladie sans la nier. Des maladies qui, trop souvent, sont taboues et stigmatisées. Mais qui ne condamnent pas forcément à renoncer à des projets de vie. JDC
Témoignages de Recovery, Récits de rétablissement en santé mentale, Pro Mente Sana, Genève, 2012.
Les publications de Pro Mente Sana sur le Recovery peuvent être commandées ou téléchargées gratuitement sur: www.promentesana.ch
Notes
* Secrétaire général de Pro Mente Sana Suisse romande