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Des emplois de solidarité à l’école primaire!

GENÈVE • Comme tant d’autres administrations, le Département de l’instruction publique se tourne vers les emplois de solidarité pour l’engagement d’auxiliaires scolaires à l’école primaire. Au détriment de l’ouverture de «vrais» postes de travail, dénonce le syndicat SIT.

Régulièrement, le SIT fait entendre sa voix pour dénoncer le recours à des emplois de solidarité (EdS) dans les administrations cantonales et communales, les institutions publiques ou subventionnées, pour compenser le gel des postes de travail alors que les besoins de la population augmentent. L’enjeu est que de vrais postes de travail sont perdus dans la fonction publique et remplacés par des EdS, lesquels sont proposés aux chômeur-euse-s en fin de droit et maintenant aux bénéficiaires de l’aide sociale. Des employé-e-s en EdS se retrouvent à faire le même travail que des collègues, mais avec un salaire de 1500 francs de moins et n’accédant pas au statut du personnel fixe, malgré un contrat à durée indéterminée. Ce phénomène n’est pas exceptionnel, et a même tendance à se généraliser. Nombreuses sont les institutions publiques et associations qui, faute de voir augmenter leurs ressources financières en fonction de leurs besoins, se tournent vers les EdS alors qu’elles auraient souhaité engager une personne formée avec un contrat à durée indéterminée.

Même le Département de l’instruction publique (DIP) a cédé à cette pratique. En signant le concordat Harmos, permettant la réalisation d’un plan cadre romand d’enseignement dans les écoles primaires, le DIP s’est également engagé à mettre en place une intégration d’une demi-journée ou plus au sein de l’école primaire de tous les enfants présentant un handicap (trisomie, autisme, etc.). Ces enfants sont, à ce jour, scolarisés dans des structures spécialisées comme les centres de jour de l’Office médico-pédagogique, structures qui emploient des psychomotriciens, logopédistes, enseignants spécialisés et éducateurs sociaux. Aujourd’hui, l’intégration ponctuelle de ces enfants dans des classes primaires nécessite l’appui d’un-e auxiliaire scolaire, présent-e en continu auprès de l’enfant handicapé-e. Cet-te auxiliaire scolaire doit avoir des compétences reconnues, alliant connaissances dans le champ du handicap et savoir-faire d’enseignant spécialisé ou d’éducateur. Nul besoin d’un diplôme en ressources humaines pour comprendre que l’engagement d’auxiliaires scolaires formé-e-s à hauteur de ces compétences a un coût pour l’Etat. Un coût que le Conseil d’Etat ne peut assurer, du fait d’une diminution de son budget par un Grand-Conseil à majorité de droite. En conséquence, pour respecter Harmos, le DIP s’est tourné vers les EdS en décrétant que des personnes en fin de droit ou à l’aide sociale pouvaient assurer la fonction d’auxiliaire scolaire. Ainsi, les enfants en situation de handicap bénéficient, au sein des écoles spécialisées, d’un encadrement interdisciplinaire assuré par des professionnels formés au niveau tertiaire, alors que des personnes au statut précaire, peu valorisées, formées minimalement et sous-payées en auront la charge dans des classes primaires ordinaires. Si l’encadrement de ces enfants en structures scolaires n’a pas besoin de l’apport d’un personnel formé, pourquoi ne pas appliquer la logique du DIP jusqu’au bout et renoncer à engager du personnel professionnel dans ses centres de jour? Les parents d’enfants handicapés apprécieront, en termes de prestation, de même que les professionnelle-s formé-e-s, en termes de déqualification de leur diplôme.

Soyons clairs, cette forme d’emploi, en tant que mesure d’insertion professionnelle, ne peut être soutenue par le SIT qu’à partir du moment où elle ne remplacera pas un vrai poste de travail, qu’elle permettra une véritable formation qualifiante, si possible au niveau CFC. Ces deux conditions ne sont pas remplies. C’est pourquoi le SIT continue à dénoncer l’abus d’EdS dans la fonction publique pour des raisons d’économie, abus qui contribue au développement du «précariat» à Genève, c’est-à-dire, pour reprendre le sociologue Robert Castel, une logique qui place les chômeur-euse-s en fin de droit et les bénéficiaires de l’Hospice général dans un processus permanent de soi-disant insertion, mais qui les délie en fait de l’emploi stable du marché du travail primaire, les faisant flotter dans une sorte de no man’s land, pas tout à fait exclu-e-s, mais pas non plus intégré-e-s.
 

* Présidente du Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT), Genève, SIT-info n° 1, janvier 2013, www.sit-syndicat.ch
Lire également Le Courrier du 11 juin 2012: «Des assistants en classe pour aider des élèves avec handicap».

Opinions Agora Nicole Lavanchy

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