Selon une récente étude1 publiée dans la revue médicale britannique The Lancet, le nombre de femmes ayant eu recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) reste élevé au niveau mondial depuis 2003, année du dernier rapport sur la question, alors qu’une forte réduction était enregistrée lors des huit années précédentes. Presque la moitié des avortements sont rangés dans la catégorie des interventions «dangereuses». En augmentation, ce chiffre est passé de 44% en 1995 à 49% en 2008. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 13% des décès maternels et nombre de problèmes de santé sont attribuables aux suites d’un avortement dangereux.
L’avortement est un phénomène mondial, et les disparités entre les différentes régions du monde sont faibles: Les pays développés ont un taux estimé à 24 avortements pour 1000 femmes, contre 29 pour mille dans les pays en développement. Une grossesse sur cinq environ se termine par un avortement. L’OMS estime à 33millions le nombre de grossesses accidentelles par an qui peuvent aboutir à un avortement. «Là où existent des législations restrictives, les femmes n’ont pas d’autre choix que d’avoir recours à des pratiques dangereuses», relève le Dr Iqbal Shah du Département pour la Santé reproductive de l’OMS.
Pour Gilda Sedgh, auteure principale du rapport, la législation relative à l’avortement a tendance à être restrictive dans les pays en développement: «La majorité de ces avortements sont dangereux et certains sont convaincus que c’est parce qu’ils sont réalisés dans des pays où le système de santé est déficient. C’est vrai. Cependant, y compris dans les pays en développement, le taux des complications et des décès provoqués par les avortements a diminué quand les lois sur l’avortement ont été libéralisées.» Comme en Afrique du Sud où le chiffre annuel des décès liés à l’avortement est tombé de près de 90% dans les trois ans qui ont suivi la libéralisation en 1997.
Le poids des décès résultant de l’avortement repose presque entièrement sur l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine. Pourtant, selon Beverly Winikoff, chercheuse en santé reproductive à New York, «il n’existe pas de différences biologiques régionales qui pourraient expliquer cette discordance.» Et là où le taux de mortalité est élevé, le personnel soignant maîtrise les procédures existantes permettant d’éviter les décès. «S’il y a manque, c’est un manque d’altruisme. On est prêt à sacrifier des vies humaines sur l’autel de la bien-pensance, du socialement acceptable ou pour préserver une certaine zone de confort politique.»
Les chiffres montrent qu’une femme qui pense devoir se faire avorter le fera quelle que soit la législation. La seule différence est d’avoir ou non la possibilité d’interrompre sa grossesse sans danger. L’étude montre que ce sont les pays où l’avortement est illégal qui connaissent le taux d’IVG les plus élevés. «Cela ne permet pas de dire que les législations provoquent des taux d’avortement plus ou moins élevés, relativise MmeSedgh; mais nous confirmons la corrélation entre taux d’avortement et utilisation des moyens de contraception: plus la contraception est utilisée, plus le taux d’avortement est réduit.»
C’est donc le blocage de l’accès aux moyens contraceptifs qui empêche la réduction du nombre d’avortements. Dans certains pays, ce blocage a été attribué au fait que le financement de la planification familiale n’arrivait pas à satisfaire une demande en constante augmentation. Par ailleurs, les programmes de planification familiale demandent à être améliorés, en offrant notamment une plus grande diversité de méthodes contraceptives.
Pour sa part, Richard Horton, éditeur de The Lancet, évoque l’aspect politique du problème et la stigmatisation dont l’avortement fait l’objet: «L’an dernier, au sein d’une commission sur la santé des femmes et des enfants, le représentant américain m’a demandé explicitement de retirer le terme ‘avortement’ de la version préliminaire du rapport final. Même avec un gouvernement Obama, il n’est pas possible d’avoir une discussion ouverte sur l’avortement dans les agences et les comités internationaux. Cette censure, c’est ce qui cause la terrible distorsion des priorités pour la santé des femmes aujourd’hui.»
IVG: hausse des pratiques dangereuses
AGORA
SANTE • Une étude montre que les pays où l’avortement est illégal connaissent les taux d’IVG – et de décès corrélés – les plus élevés.
* Agence du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU.
1 www.guttmacher.org/pubs/journals/Sedgh-Lancet-2012-01.pdf