Soigner d’abord la sécurité
Selon une étude de l’Observatoire suisse de la santé (Obsan) menée en 2000-2002 et publiée en 2005, l’admission sans consentement représente plus de la moitié des hospitalisations en milieu psychiatrique. Il faut toutefois différencier deux types de procédures: la privation de liberté à des fins d’assistance (PLAFA), mesure prise par la justice de paix qui peut consister en un placement à l’hôpital, dont relèvent 20% de toutes les admissions, et l’hospitalisation d’office ou non volontaire, mesure d’urgence prise par un-e médecin extérieur-e à l’établissement dans une situation où une personne présente un trouble mental nécessitant une hospitalisation psychiatrique et constitue un danger pour elle-même ou pour autrui, qui constitue le tiers des cas.
L’étude mentionnée relève de fortes disparités entre les cantons, bien que l’Obsan minimise la question des différences législatives cantonales et explique que les différences relèveraient en partie de modalités différentes de saisie des données. Certains en effet ne pratiquent que peu d’admissions sans consentement, Bâle ou le Valais par exemple, alors que d’autres, comme Genève et Neuchâtel, ont peu de PLAFA mais près de la moitié sont des hospitalisations d’office.
Sans surprise, le responsable de l’Obsan, commentant cette étude dans un communiqué de presse, estime qu’une analyse comparative de ces pratiques cantonales variées permettra de trouver «une approche optimale face au risque que des personnes psychiquement malades commettent des actes dangereux et menaçants». Pourtant les professionnel-le-s s’évertuent à rappeler qu’un trouble psychique ne constitue pas en soi un risque de violence et que les passages à l’acte des malades ne représentent qu’une petite part de l’ensemble des actes violents et sont corrélés avec les mêmes facteurs que le reste de la population, c’est-à-dire l’abus de substance, le sexe, l’âge et le niveau socio-économique.
La question des soins hospitaliers sans consentement se trouve malheureusement souvent réduite à la question de la sécurité publique. Et la confusion surgit dans la formule même du cadre légal, qui mentionne «un danger pour lui-même ou pour autrui», le devoir d’assistance et l’ordre public se trouvant ainsi amalgamés.
Sur ce point, il serait bien plus intéressant de comparer l’évolution dans le temps des modes d’hospitalisation, en parallèle de celle des droits des patient-e-s, démarche tentée pour Genève par deux psychiatres et une sociologue dans un article publié en 2010. Philippe Rey-Bellet, François Ferrero et Anne Bardet Blochet2 constatent ainsi que les admissions volontaires sont devenues minoritaires dans leur canton suite à l’introduction de la possibilité de refuser un traitement. Cependant, comparant les législations occidentales, ils ne mettent pas en évidence de relation significative entre la loi et les pratiques. Selon eux, il existe un lien entre les mesures d’hospitalisation d’office et l’augmentation des mesures de surveillance des soins dans un «climat sécuritaire». Les psychiatres, surveillés de près par la justice, semblent ainsi se protéger en se soumettant aux injonctions sécuritaires de leur Etat employeur plutôt que de protéger les patient-e-s et leurs libertés.
Cette conclusion n’est pas très différente de celle des psychiatres français (lire l’article d’hier) et doit nous rappeler le rôle que la psychiatrie joue dans la politique sécuritaire, en Suisse aussi.
* Texte paru dans Pages de gauche n°104, octobre 2011. www.pagesdegauche.ch
1 Lire l’article d’hier «Les malades traités comme des criminels», qui analyse la situation en France.
2 Philippe Rey-Bellet, Anne Bardet Blochet, François Ferrero, Hospitalisations non volontaires à Genève: la liberté sous contrainte?, Archives suisses de neurologie et de psychiatrie, 161, 3, 2010, pp. 90-95.