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Loger en bonne conscience les cadres de Japan Tobacco

VOTATIONS • Simon Soutter réagit par une lettre ouverte à la prise de position du syndicat SIT sur le déclassement du périmètre des Cherpines à Plan-les-Ouates.

Faut-il encore s’étonner de la prise de position du Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs en faveur du déclassement des Cherpines à Plan-les-Ouates?
Le SIT est une organisation de la gauche radicale pour qui le progrès social doit passer par une transformation fondamentale des mécanismes économiques, sociaux et culturels dans une économie mise au service de la personne humaine et répondant aux besoins de toutes et tous1. Bien entendu, le SIT sait rester pragmatique lorsqu’il s’agit de défendre les travailleurs face au patronat et on reconnaîtra volontiers qu’une convention collective négociée vaut mieux que rien.
Pourtant, lorsque le SIT entre dans le champ politique, comme c’est le cas avec sa prise de position en faveur du déclassement des Cherpines à Plan-les-Ouates, aucune dérogation aux principes qui le fondent ne saurait être faite. Au contraire, en encourageant ce déclassement, le SIT, suivant en cela la position du Parti socialiste genevois (PSG), joue humblement son rôle de pompier du capitalisme afin de lui permettre de perdurer dans sa politique de la terre brûlée.
Pour tenter de justifier sa position, le SIT se fonde sur une analyse tronquée de la situation et dénature les motifs affirmés des référendaires. Pour recadrer les enjeux réels du référendum, notons qu’il ne s’agit nullement de défendre trivialement l’agriculture de proximité face au développement urbain ou, comme le prétend le journal du SIT de «provoquer un débat sur la densification et l’urbanisation de Genève»2.
Les référendaires entendent poser la question globale du développement de la région genevoise d’un point de vue d’abord économique plutôt que strictement urbanistique. Leur révolte se fonde sur une analyse pertinente des mutations qui touchent le canton ces dernières décennies. Son essor se résumerait, pour reprendre le PSG, par une économie d’importation constante de sociétés hors sol à hauts profits et une externalisation de l’exploitation humaine et du désastre écologique3.
La politique de promotion économique genevoise actuelle est celle de l’adoption de tout capital, société ou entreprise sans distinction pour autant qu’ils soient à haut rendement. Cette politique remplit les caisses de l’Etat avec la connivence du magistrat «vert» Hiller, heureux signataire des forfaits fiscaux. Mais les multinationales drainent leurs propres cadres hautement qualifiés et rémunérés, surchargent le marché immobilier et n’apportent aucune solution au chômage endémique qui, en dépit de légères fluctuations, se maintient à un haut niveau.
Globalement, la politique de développement économique à Genève va à l’encontre des intérêts prépondérants de la population qui constate une dégradation de ses conditions générales d’existence. La cause principale de la crise du logement n’est donc pas tant à chercher dans le manque de nouveaux logements construits, ce que répètent de manière assez consensuelle la droite comme la gauche –à l’exception de sa frange anticapitaliste–, mais bien plutôt à mettre en lien avec le mal développement économique de la région.
Même les Vert’libéraux vaudois ont pris la mesure de la situation assez similaire de leur canton lorsqu’ils réclament au parlement de préférer le renouvellement du tissu économique à sa croissance continue et de réduire les mesures actives visant à attirer de nouvelles entreprises en provenance de l’étranger, en particulier en renonçant aux exonérations fiscales4. Les mouvements populistes de droite ne vont pas tarder à se saisir de la question pour supplanter la gauche sur le terrain de l’anticapitalisme.
L’urgence, ce n’est décidément pas le déclassement des Cherpines, qui nécessitera dans le meilleur des cas une dizaine d’années pour aboutir à de nouvelles constructions, mais de réformer et socialiser la politique de développement économique de Genève. Des mesures drastiques au niveau de la promotion économique permettraient de résorber la situation de crise actuelle alors que plusieurs plans localisés de quartier sortent des procédures d’oppositions et qu’à court terme un nombre important de logements sera mis sur le marché.
Les Cherpines, c’est finalement 1500 logements de luxe dans un écoquartier non fumeur. Nous pourrons y loger en toute bonne conscience les cadres de Japan Tobacco pour que cette société continue à produire, à l’étranger, s’il vous plaît, son tabac dans des conditions sociales et écologiques déplorables. Cela en préservant Cologny, son golf et sa campagne de tout déclassement en vue de la construction de logements sociaux.
Une gauche combative, c’est aussi celle de l’initiative des propositions. Pour cela, il faudrait qu’elle se sente capable de convaincre sa base et son électorat par la rigueur de sa vision.

 

1 SIT, déclarations de principes, 2011, www.sit-syndicat.ch
2 «Des logements maintenant!», Sylvain Lehmann, SIT info n°3, avril 2011.
3 Projet économique pour Genève, Parti socialiste genevois, 2 février 2011, www.ps-ge.ch
4 Postulat de Jacques-André Haury au nom de l’Alliance du Centre proposant une adaptation de notre politique de promotion économique à la croissance démographique actuelle, présenté le 23novembre 2010 par Jacques- André Haury, député vert'libéral à Lausanne, www.vd.vertliberaux.ch

Opinions Agora Simon Soutter

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Votations du 15 mai 2011

mercredi 11 mai 2011

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