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MAURER EN ISRAËL: MALAISE

COLLABORATION MILITAIRE – Le voyage en Israël du ministre de la Défense Ueli Maurer discrédite la Suisse dans son rôle de garant du droit international humanitaire, dénoncent les milieux pacifistes. Ces derniers demandent l’annulation de la visite, prévue du 9 au 11 octobre.

Répondant à des questions au Conseil national le 20 septembre dernier, le conseiller fédéral Ueli Maurer a annoncé que sa visite en Israël porterait sur la poursuite de la collaboration militaire entre la Suisse et Israël et qu’elle serait également l’occasion «pour présenter le point de vue de la Suisse sur l’ensemble des questions présentes dans les relations bilatérales. Dans ces questions, à côté de l’approfondissement des intérêts réciproques, il y a aussi des thèmes où subsistent des positions différentes», s’est plu à relever le chef du Département fédéral de la défense.
Les positions différentes existent en effet sur des thèmes qui relèvent du droit international et particulièrement des Conventions de Genève. Par exemple, la Suisse ne reconnaît pas l’annexion de Jérusalem-Est par Israël et refuse toujours d’y transférer son ambassade. Depuis 1967, la Suisse demande en vain à Israël d’appliquer les Conventions de Genève dans les territoires palestiniens occupés. La Suisse considère que les colonies israéliennes sont illégales, de même que le mur érigé sur le territoire palestinien. La Suisse a soutenu aussi la résolution de l’ONU donnant suite au rapport de la commission Goldstone qui demande la poursuite pénale des crimes de guerre commis lors de la guerre de Gaza de 2008-2009.

En demandant à la Suisse de convoquer une conférence avec tous les Etats signataires de la IVe Convention de Genève sur les «mesures à prendre pour faire appliquer la Convention dans le territoire palestinien occupé», cette résolution1 place la Suisse au centre du conflit politique international sur la redéfinition du droit de la guerre. Les superpuissances militaires comme les Etats-Unis et Israël voudraient changer les règles de la guerre pour éviter que leurs responsables militaires soient inculpés de crimes de guerre quand ils font massacrer des populations civiles au cours des «guerres asymétriques» qu’ils mènent par exemple en Afghanistan, à Gaza ou au Liban sous prétexte que les «terroristes» qu’ils traquent se cachent dans des zones habitées. Malgré les invitations réitérées de l’ONU et les nombreuses consultations menées par les diplomates suisses, la convocation de cette conférence est continuellement reportée. Le risque de vider de sa substance le droit international humanitaire pour la protection des populations civiles est très sérieux.

C’est ce contexte qu’il faut garder à l’esprit pour comprendre la portée de la visite annoncée du conseiller fédéral Ueli Maurer auprès des responsables politiques et militaires de l’armée israélienne.

Le rôle de la Suisse comme gardien du droit international humanitaire sera très sérieusement discrédité par cette visite, et ceci à plusieurs égards. Premièrement, en raison de la partialité des relations privilégiées maintenues avec une seule parmi les parties au conflit. Il suffit d’imaginer un instant comment serait perçue une visite ayant pour objet «l’approfondissement» de la collaboration militaire avec les responsables de la branche armée du Hamas, du Hezbollah ou du ministère de la défense iranien.

Deuxièmement, parce qu’on ne peut simplement pas prétendre de contribuer à la poursuite judiciaire des crimes de guerre commis lors de l’opération «Plomb durci» et en même temps «approfondir» la collaboration avec Ehud Barak, qui était déjà ministre de la défense israélienne lors de cette opération ainsi qu’avec l’actuel chef de l’armée qui en était le commandant militaire. L’article 146 de la IVe Convention de Genève stipule clairement qu’il faut des «…sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l’ordre de commettre, l’une ou l’autre des infractions graves à la présente Convention définies à l’article 147…».2

Troisièmement, non seulement Ueli Maurer incarne des valeurs et une politique totalement contraires à un engagement actif pour le respect et l’application du droit international humanitaire, mais, et c’est le facteur déterminant, ces valeurs et cette politique sont majoritaires au Conseil fédéral, en tout cas depuis l’été 2006.

Pour rappel, en juillet 2006, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) avait condamné de manière inhabituellement claire les violations des Conventions de Genève commises par les bombardements de l’armée israélienne sur la bande de Gaza le 3 juillet («…qui violent le principe de proportionnalité et constituent une punition collective…») et sur le Liban le 13 juillet («…réaction disproportionnée d’Israël…»). C’en était trop pour la droite suisse. Lors d’une séance extraordinaire du Conseil fédéral le 26 juillet, Christoph Blocher et Samuel Schmid réussirent à faire minoriser la position de Micheline Calmy-Rey sur la guerre au Liban et, au lieu de soutenir la conception de «neutralité active» que la ministre du DFAE défendait, le Conseil fédéral exigea de son département un rapport sur la neutralité de l’action de la Suisse dans ce conflit et dans la politique extérieure en général.

Parfaitement consciente de la portée d’un engagement conséquent pour la protection des populations civiles dans les conflits armés au Proche-Orient et ailleurs, lors de cette même séance, la droite majoritaire au Conseil fédéral exigeait encore du DFAE de revoir sa position sur «le rôle de la Suisse en tant que dépositaire des Conventions de Genève» et «sur les possibilités de développement du droit international humanitaire en relation avec les formes asymétriques de conflit.»

On voit bien que les mêmes enjeux et les mêmes affrontements que l’on retrouve aujourd’hui au niveau international autour des crimes de guerre commis à Gaza en 2008-2009 lors de l’opération «Plomb durci» traversaient déjà le Conseil fédéral lors des «opérations» de l’armée israélienne de l’été 2006 contre la bande de Gaza et le Liban.

Et il convient encore de rappeler qu’à l’extérieur du Conseil fédéral, dans cet été chaud de 2006, les attaques les plus virulentes contre la politique de «neutralité active» et donc contre un engagement plus profilé de la Suisse en faveur du droit international, provenaient de l’alors président de l’UDC, un certain… Ueli Maurer, qui au mois d’août 2006 demandait publiquement de sortir Micheline Calmy-Rey du DFAE.

Aujourd’hui la visite d’Ueli Maurer s’inscrit parfaitement dans le très fort soutien dont bénéficie la politique israélienne de la part de la droite européenne. Au Parlement suisse, le parti dont les députés ont adhéré presque «en bloc» au groupe parlementaire Suisse-Israël, c’est l’UDC. Le plus inquiétant est que cette politique bénéficie du soutien de toute la droite représentée au Conseil fédéral, laquelle droite semble ne faire aucun cas du discrédit que cette politique jette non seulement sur tout ce qui relève du droit et de la justice internationaux ainsi que du système onusien, mais également sur les attentes quant au rôle et au positionnement de la Suisse au niveau international. I

* membre des comités du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) et du Collectif Urgence Palestine Genève (CUP). Les deux organisations sont signataires, aux côtés d’une trentaine d’autres mouvements pacifistes, d’un appel demandant l’annulation de la visite du conseiller fédéral Ueli Maurer au ministre de la défense israélien. (http://www.gssa.ch/spip/spip.php?article150)

1 Résolution A/RES/64/10 adoptée par l’AG de l’ONU le 5 novembre 2009 «Suite donnée au rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza»: «(…) 5. Recommande que le Gouvernement suisse, en sa qualité de dépositaire de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, prenne au plus tôt les mesures nécessaires afin de convoquer à nouveau une conférence des Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève sur les mesures à prendre pour imposer la Convention dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et la faire respecter, conformément à l’article 1 commun; (…)»

2 Parmi les «infractions graves» énumérées à l’art 147 de la IVe Convention de Genève on trouve «le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé, la déportation ou le transfert illégaux, la détention illégale, (…) la destruction et l’appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire (…)».

Opinions Contrechamp Tobia Schnebli

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