Musique

Sonja Moonear, oiseau de nuit

Derrière les platines depuis plus de dix ans, la DJ genevoise se produit ce soir au Air Festival de Reconvilier, la tête dans les montagnes jurassiennes.
Sonja Moonear, oiseau de nuit
«DJ, c'est quelque chose qu'il faut faire avec amour.» JEAN-PATRICK DI SILVESTRO
Musique électronique

«Mmh… Vu l’heure à laquelle je me couche, ce serait fantastique si on pouvait se voir un peu plus tard que prévu…» Heure du message: 6h13. C’est donc la voix fatiguée et les yeux légèrement cernés que Sonja Moonear débarque dans un café du quartier de Plainpalais, après une courte matinée de sommeil. A peine quelques heures plus tôt, le MDH Club du Montreux Jazz Festival vibrait encore sous les beats magnétisants de la DJ et productrice genevoise. Ce soir, rebelote: direction les montagnes jurassiennes pour une prestation dans le cadre du Air Electronic Music Festival de Reconvilier, au beau milieu des pâturages.

Heureusement, de l’énergie, Sonja Moonear en a à revendre. Depuis plus de dix ans, elle parcourt les clubs du monde entier, «la caisse de disques et le sac de fringues à la main». Berlin, Tokyo, Mexico City, pas une capitale n’a manqué le sourire éclatant de cette «entertaineuse», comme elle aime à dire. Un rôle qu’elle prend toujours autant à coeur, en se ménageant peut-être un peu plus qu’autrefois. «En tant que DJ, tu es là pour donner du fun au gens, explique-t-elle. Parfois, avec la fatigue, les problèmes, c’est difficile de dégager quelque chose de positif.»

Sortir des caves

Farouchement indépendante, c’est aussi pour cela qu’elle a choisi de ne pas vivre exclusivement de sa musique. Aux platines le week-end, elle travaille à côté comme illustratrice sonore à la Télévision Suisse Romande. «La musique électronique, c’est ma passion, mais je n’ai pas envie d’en être l’esclave. Trop de DJs se contentent de pousser des disques, d’encaisser le cachet et de rentrer chez eux. C’est quelque chose qu’il faut faire avec amour.»

Le virus techno, Sonja Moonear l’a attrapé au début des années nonante, «à une époque où on n’en trouvait pas encore à la Migros…» A l’âge de 13-14 ans, elle commence à sortir en cachette pour rejoindre ses amis et partir en soirée: «A l’époque, on devait bouger à Montreux ou au New York Club de Neuchâtel pour entendre cette musique, raconte-t-elle. A force de rentrer tard, j’ai fini par me faire pincer par mon père…» Pas de quoi décourager la jeune femme en quête de sensations électroniques.

Rapidement, elle prend part à l’organisation de soirées dans les squats genevois – les Terreaux, l’Industrie… – notamment avec le collectif Mental Groove, et passe de l’autre côté des platines. Bientôt, c’est la halle Weetamix qui lui ouvrira ses portes pour quelques années de résidence.

«Heureusement, j’ai des parents incroyables, poursuit la Genevoise qui fêtera ses 29 ans cet automne. Quand j’ai commencé à empiler les disques à la maison, ils ont plutôt été intéressés.» Tous deux musiciens – père accordéoniste, mère flûtiste et violoniste – et «bons vivants», insiste-t-elle, «ils ont toujours respecté ce que je faisais. En rentrant à huit heures du matin, il m’arrivait de déjeuner avec eux et de leur raconter comment la soirée s’était déroulée…» Les souvenirs se bousculant au portillon, le débit de la musicienne ne faiblit pas une seconde. A tel point que la glace commandée quelques instants plus tôt ressemble déjà… à de la soupe. «Je parle beaucoup, non? En général, je l’ai pas mal ouverte!»

Bref, à force de volonté et de talent, Sonja Moonear est parvenue à faire son nid dans la cour des grands: «Aujourd’hui, j’ai la chance de jouer dans des lieux géniaux tous les week-ends.» D’un autre côté, avec son label Ruta 5 (du nom chilien de la route panaméricaine), elle cherche plutôt à retrouver l’esprit «ludique et amical» des soirées d’antan, au Piping Club par exemple, où elle organise quelques événements. C’est vrai qu’au fil des ans, la musique électronique est largement sortie des caves enfumées pour atterrir sous les projecteurs d’immenses rave parties et autres parades clownesques. Musicalement parlant, cette dérive commerciale a aussi eu ses effets néfastes: «On a tendance à oublier que la techno peut être une musique fine et intéressante. La trance, le hardcore, l’ont rendu simple et bête, sans âme…»

Explosion latino

Résistante, Sonja Moonear? En tout cas, voir des artistes qu’elle apprécie entrer dans le moule des dernières modes électro l’agace profondément. Quant à sa recette personnelle, elle n’en fait pas mystère: «Il me faut une bonne dose de funk, mais surtout de vraies structures musicales. Les poum-schlack-poum-schlack, au bout de vingt minutes, j’en ai ras-le-bol!»

Une sensibilité qui lui vient sans doute du piano, instrument que cette ancienne élève de l’Institut Jaques-Dalcroze a longtemps pratiqué. «J’en joue encore dans mon coin, pour moi c’est vital», confie-t-elle. Le classique, du reste, comme le jazz, la musique latino, quelques variétés et du rock psyché des seventies, occupe plus souvent sa chaîne hi-fi que les pulsations binaires. Quand ce n’est pas le silence, qu’elle aime simplement «écouter».

Ces influences multiples et variées, elle les a aussi glanées sur les routes d’Amérique latine, un continent où elle a beaucoup joué. Pas de souvenir en particulier, il y en a trop, nous dit-elle: «Ces gens sont né avec la danse. Quand on parvient à les captiver, c’est l’explosion.» Invitée à Sao Paulo en 2002, dans le cadre d’un rassemblement de professionnels – DJs, musiciens, labels –, elle jouera par la suite au Chili, en Argentine, au Mexique. «Là-bas, quand on rencontre des gens, les liens se créent rapidement».

Autre attache: les nombreux amis chiliens très actifs sur la scène électronique – Luciano, Ricardo Villalobos et, plus récemment, Martin Schopf, alias Dandy Jack, son compagnon à la ville comme à la scène (ils officient ensemble dans le duo Junction SM). Réunis à la faveur d’une escapade berlinoise – il a grandi en Allemagne –, ces deux passionnés de musique électronique habitent désormais dans les environs de Genève et s’apprête à fêter un heureux événement cet automne. Alors, fini les longues nuits en club?

Aucunement, répond la future maman: «La plupart des parents travaillent du lundi au vendredi et mettent leurs enfants à la crèche. Nous, on sera disponible toute la semaine et les grands-parents prendront le relais le week-end.»

Air Electronic Music Festival, Reconvilier (Jura bernois), aujourd’hui dès 13h, 26 heures non-stop de musique électronique.

Ma 31 juillet, dès 23h, «Ruta 5 & D3 Party» avec Butane et Bill Patrick, Piping Club, 7-9 rte de St-Julien, Genève.

Sonja Moonear sur le web: www.ruta5.org

Culture Musique Mario Togni Musique électronique Portraits Portraits de der

Dossier Complet

Portraits de Der

mercredi 13 avril 2011
Chaque semaine, le Mag du Courrier se clôt sur un portrait d'artiste ou d'acteur·ice culturel·le.

Connexion