Etat d’urgence dévoyé
La France de François Hollande aura fait bien peu de cas de la liberté d’expression. La lecture du dernier rapport d’Amnesty International, présenté ce matin, est édifiante. L’ONG y dresse la liste des manifestations interdites, des arrestations préventives ou encore des dispositifs policiers arbitraires et des violences excessives exercées sur des manifestants sur la base des mesures antiterroristes prises au lendemain des massacres du 13 novembre 2015. Un petit jeu liberticide particulièrement lamentable au regard des enjeux découlant de l’usage d’un tel dispositif – l’état d’urgence – et de la menace terroriste bien réelle.
Si les interdits prononcés immédiatement après les attentats de Paris et de Saint-Denis, qui empêchèrent les principales mobilisations en marge de la COP21, peuvent encore être défendus, les entraves répétées au mouvement d’opposition à la Loi Travail (LT), entre mars et octobre de l’année 2016, en disent long sur la dérive d’un certain socialisme «de gouvernement».
Qu’on en juge: presque la totalité des 639 assignations à domicile permises par les mesures antiterroristes ont concerné des activistes climatiques et, surtout, des opposants à la dérégulation du droit du travail. Des privations de liberté infligées à des militants souvent reconnus, piliers des mobilisations en cours, et ne faisant l’objet d’aucune poursuite. Malgré des mois d’enquête, Amnesty n’a pu obtenir de justifications de ces mesures «préventives» ni d’éléments crédibles permettant d’en jauger l’effet. Pas plus qu’elle n’a reçu d’explication concluante sur les quelque 200 rassemblements publics interdits, selon le décompte certainement partiel de l’ONG.
Débuté sur la promesse – non tenue –de lutter contre l’arbitraire policier, notamment les «délits de faciès», le quinquennat Hollande n’a pas été avare en «dérapages» et autres «bavures», à Aulnay comme à République, à Calais comme à Beaumont-sur-Oise. Et s’est achevé sous un régime d’exception en passe de devenir la norme.
Un glissement vers les thèses sécuritaires opéré dans le déni le plus total, comme l’illustrent les cris d’orfraie qui accompagnent la dernière provocation de Jean-Luc Mélenchon, au sujet de l’implication de l’ancien ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve dans l’«assassinat» de Rémi Fraisse. Au-delà des mots, ce jeune militant écologiste a bel et bien été tué le 26 octobre 2014 par l’une des 703 grenades offensives lancées par les gendarmes contre un campement écologiste opposé au barrage de Sivens1 value="1">Sur la mort de Rémi Fraisse, lire le rapport de la Ligue des droits humains (www.ldh-france.org) et «Sivens: ce qui s’est vraiment passé la nuit de la mort de Rémi Fraisse», le dossier de reporterre.net.. Une opération de «rétablissement de l’ordre», disproportionnée et dangereuse, encouragée aux plus hauts échelons de l’Etat, pour permettre le démarrage d’un chantier… illégal. Qui sera abandonné sur ordre du Tribunal administratif de Toulouse, huit mois après la mort de Rémi Fraisse.
Dans leurs styles diamétralement opposés, M. Mélenchon et Amnesty International nous rafraîchissent opportunément la mémoire, à l’heure où Emmanuel Macron a commencé le recyclage des anciens hollandais dans son appareil régalien. I
Notes