Dans les temps que nous traversons point un sentiment d’abattement face à l’ampleur des régressions à l’œuvre et des catastrophes à venir. Au gré des nouvelles plus rageantes et désespérantes les unes que les autres, cela vaut autant à l’échelle globale que dans une proximité mise à mal par les offensives incessantes contre des acquis obtenus de haute lutte.
C’est là que les réseaux de solidarité prennent tout leur sens. «Faire communauté autrement», telle est l’idée que votre journal a choisi de décliner en ouverture du numéro de Noël. A une période de l’année qui pousse à se rassembler, parfois à se replier – sur la cellule familiale lorsqu’elle existe, sur soi-même quand les liens sont défaits.
Or il existe d’innombrables manières de cultiver la relation. L’amitié en est une, espace de soin, de joie, «amortisseur social», écrit la journaliste Alice Raybaud dans Nos puissantes amitiés, un essai à la résonance inspirante. L’amitié non pas comme un refuge confortable, mais comme un contre-pouvoir, fragile et fécond. Dans les coopératives d’habitation participatives qui émergent à un rythme soutenu, dans le sillage des revendications pour un «droit à la ville», se forge un vivre-ensemble qui prône le consensus. Cela prend du temps, celui de formuler et d’écouter, mais le jeu en vaut la chandelle car la cohésion y gagne en solidité.
Aux profils abîmés, la communauté peut tendre un filet bienveillant contre l’isolement et la chute. Une association accompagne des personnes aux parcours migratoires marqués par «des ruptures plus ou moins violentes et définitives». On prend soin en dépassant le clivage entre soignant·e et patient·e, et cela crée «des ponts inaliénables». Dans un atelier genevois non médicalisé, axé sur l’art, les troubles psy et la neurodivergence sont canalisé·es collectivement, dans un partage créatif des fragilités ou des crises. Enfin, à Lausanne, des cercles de parole destinés aux victimes comme aux auteurs de violences de genre proposent de prendre en charge sa propre guérison, dans une démarche de justice transformatrice où soin et prise de conscience vont de pair.
Toutes ces expériences, certaines bénévoles voire militantes, naissent au prix d’heures de discussion, d’investissement personnel, de réflexions et de chartes. Un vrai travail, aux antipodes du «y a qu’à» dont la droite aime affubler la gauche. Pour inventer d’autres avenirs et solidarités, à l’heure du recul des projections collectives, beaucoup paient de leur personne. Le Courrier s’inscrit dans cet élan, dont il se nourrit et qu’il cultive lui aussi, en se faisant l’écho de ces démarches vitales, salutaires, avec sa communauté de lecteurs et lectrices.