Articles de presse, interviews et reportages radio et télé en pagaille. Podcasts. Ouvrages signés d’anciens négociateurs (Todd Stern, Peter Betts, Laurence Tubiana et Emmanuel Guérin). Posts à la chaîne, photos et anecdotes à l’appui, sur Linkedin et Bluesky par des participants à la COP21 et des anciens membres de «l’équipe France». Inclusion d’une section entière – du jamais vu! – dans la décision politique finale de la COP30 (Mutirao mondial) à Bélem pour «célébrer» l’Accord et réaffirmer «avec force» l’attachement des Etats à ses principes et dispositions… Le moins que l’on puisse dire c’est que les 10 ans de l’Accord de Paris sur le climat ont fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines.
A quelques rares exceptions près, c’est à chaque fois un peu la même histoire. On insiste sur le caractère «historique» de l’Accord de Paris. On met l’accent sur les progrès extraordinaires réalisés ces dix dernières années en matière de lutte contre les dérèglements climatiques; progrès qui, affirme-t-on, n’auraient pas été possibles sans l’Accord. Oui, la situation actuelle n’est pas optimale. Mais elle serait bien pire sans l’Accord, nous assène-t-on. L’Accord de Paris fonctionne. Circulez, il n’y a rien à voir.
Par-delà ces formules répétées ad nauseam par ses principaux architectes et partisans et reprises en cœur par leurs relais médiatiques, les centaines de publications, entretiens, récits et discours consacrés aux 10 ans de l’Accord de Paris nous en disent finalement plus sur le fonctionnement et la logique si particulière de l’Accord que sur son véritable impact en matière de décarbonation de nos sociétés. Comment, en effet, prouver un lien de causalité entre un accord international et les efforts sonnants et trébuchants (largement insuffisants) entrepris ces dix dernières années ? D’autant plus qu’il s’agit d’un accord bottom-up où les Etats signataires décident volontairement des objectifs en matière de réductions d’émissions et de la manière de les atteindre.
Compte tenu de son caractère non contraignant, les incitations à agir agissent comme le principal outil – si ce n’est le seul outil – pour «mettre l’Accord en mouvement» et espérer atteindre les objectifs chiffrés qu’il contient (maintenir la hausse de la température moyenne bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et si possible, ne pas dépasser les +1,5 °C). La création d’un cadre propice à l’action et la production et l’envoi massif et continu de «signaux» quant aux bénéfices de la transition et son caractère inévitable et inarrêtable deviennent des priorités absolues. Comme l’explique Laurence Tubiana, l’une des principales architectes de l’Accord, dans un entretien accordé au quotidien Libération au lendemain de la COP21, «l’Accord de Paris doit être une prophétie autoréalisatrice». «La parole, poursuit-elle, fait autant le changement que l’accord lui-même: c’est ce que j’appelle la convergence des anticipations rationnelles.» Avec l’Accord de Paris, la performance de l’action climatique est aussi importante que l’action climatique elle-même.
Dès lors, les récentes célébrations de l’Accord de Paris peuvent être interprétées comme faisant partie intégrante de sa mise en œuvre et de la réalisation de ses objectifs: fêter les 10 ans de l’Accord ce n’est pas juste commémorer une victoire diplomatique. C’est aussi (et peut-être surtout) envoyer de nouveaux «signaux» et produire du «momentum» dans un contexte politique et géopolitique difficile. Cette injonction permanente à entretenir la «prophétie de Paris» sacralise l’Accord et écarte les voix et analyses critiques qui semblent pourtant plus nécessaires que jamais. En d’autres termes, nous sommes face à un profond dilemme: critiquer ouvertement l’Accord c’est prendre le risque de brouiller le message et donc de compromettre son (bon) fonctionnement. Alors que le contexte actuel de «backlash écologique» appellerait justement à une réévaluation critique de l’Accord et à un changement de cap.
Les récentes célébrations des 10 ans de l’Accord de Paris me rappellent l’histoire racontée par le comédien Hubert Koundé dans La Haine de l’homme qui tombe d’un immeuble de 50 étages. Au fur et à mesure de sa chute, l’homme se répète sans cesse pour se rassurer: jusqu’ici tout va bien. Jusqu’ici tout va bien. Jusqu’ici tout va bien. Mais l’important, conclut Koundé, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.