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Le malaise à la Comédie met en lumière les failles du management culturel

La crise au sein de l’institution genevoise offre l’occasion renforcer la protection des travailleurs et travailleuses du spectacle exiger une véritable formation managériale.
Nouvelle Comédie

Ce qui se déroule actuellement à la Comédie de Genève est un point de rupture, un message fort de lutte contre l’atteinte à la personnalité qui résonne bien au-delà des murs du théâtre. Le communiqué de presse conjoint, du Syndicat suisse romand du spectacle (SSRS) et du Syndicat français des artistes-interprètes (SFA-CGT), daté du 5 décembre 2025, met en lumière une crise de gouvernance et de management dont l’onde de choc est en train de transformer le débat sur les conditions de travail dans la culture subventionnée.

Un succès syndical face à un climat toxique. L’alerte porte sur une «situation de mal-être au travail, pratiques managériales préjudiciables et crise RH». La situation est si grave qu’elle a été confirmée par l’annonce de deux audits (le premier commandé par l’autorité administrative, le second par la Fondation d’art dramatique [FAD] attendu en janvier 2026).

Face aux «alertes persistantes» du SSRS et de la Commission du personnel (CPC), la FAD a reconnu l’existence d’un «climat toxique» et pris la mesure de la crise. La mesure de protection adoptée – l’éloignement physique de la directrice afin de protéger les équipes et la suspension temporaire de ses responsabilités administratives, financière et techniques – constitue, même si l’affaire n’est pas encore conclue, un succès syndical majeur. Elle signifie la reconnaissance institutionnelle que la souffrance des équipes est légitime et que l’employeur assume son obligation de santé et de sécurité.

Le rôle indispensable de la Commission du personnel. L’efficacité de l’intervention dans cette crise souligne l’importance des organes de représentation internes. La Commission du personnel (CPC) a joué un rôle essentiel. Son action combinée avec celle du syndicat est la preuve que la défense des équipes nécessite une stratégie double: une voix interne (CPC) et une force extérieure organisée (syndicat).

Le syndicalisme: bouclier face à la précarité, non à la délation. La mission première du syndicat n’est pas la dénonciation personnelle, mais la défense collective et la protection de la personnalité des travailleuses et travailleurs face à l’employeur. Les syndicats souhaitent réaffirmer que ces témoignages s’inscrivent dans un souci de «prévention des risques psychosociaux, de préservation d’un cadre de travail respectueux et de rappel de l’obligation de santé et de sécurité qui incombent aux employeurs». Ils condamnent fermement toute tentative de dénigrement ou de déviation du débat vers des registres discriminatoires ou xénophobes.

Historiquement précaire, souvent basé sur la passion et la flexibilité, le secteur culturel a longtemps toléré des pratiques managériales abusives. Des témoignages anonymisés de technicien·nes, d’artistes et de personnel administratif, suisses et français, rapportent des faits et des expériences sur près de dix ans au sujet de la directrice concernée, et pointent un mode de management perçu comme violent ainsi que d’une forme d’omerta institutionnelle.

L’urgence de la nouvelle CCT et la responsabilité collective. L’action conjointe du SSRS et du SFA-CGT (membres de la Fédération internationale des acteurs) s’inscrit dans un objectif plus large: transformer le secteur. Le SSRS a interpellé la Conférence des déléguées et délégués cantonaux aux affaires culturelles (CDAC) et la Fédération romande des arts de la scène (FRAS) pour déclencher une «réflexion approfondie sur ces questions» et l’instauration de «mesures concrètes» concernant les enjeux managériaux au sommet des institutions culturelles suisses romandes.

Cette crise intervient à un moment charnière: celui du renouvellement de la convention collective de travail (CCT). Le cas de la Comédie offre un levier sans précédent pour exiger l’intégration de mécanismes de protection renforcés dans les dispositifs existants dans les institutions contre l’atteinte à la personnalité et le harcèlement sexuel, des procédures d’alerte indépendantes et une véritable formation managériale.

Les syndicats appellent à une prise de responsabilité collective des institutions, des pouvoirs publics et des employeurs. Ils exigent que les lieux subventionnés «demeurent exemplaires, tant dans leur mission artistique que dans leurs pratiques de gestion humaine».

Le SSRS et le SFA-CGT maintiennent leur vigilance et leur engagement à défendre la dignité, le respect et la protection des travailleuses et travailleurs. Le syndicat SSRS se réserve le droit de toute action future pour garantir que les structures changent.

Isabel Amian est secrétaire générale du Syndicat suisse romand du spectacle (SSRS).