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Garantir une information de qualité pour préserver la démocratie

Emmanuel Déonna met en garde contre les effets délétères d’une acceptation de l’«initiative SSR» en mars prochain.
Médias

Le Conseil fédéral a décidé d’abaisser la redevance annuelle radio-TV des ménages de 335 à 300 francs d’ici 2029, avec une première baisse à 312 francs en 2027. Les partis de gauche, le Centre et quelques voix bourgeoises appellent comme lui à rejeter l’initiative populaire «200 francs, ça suffit!» («initiative SSR») le 8 mars prochain.

L’initiative détruirait le tissu économique et le vivier de création artistique, culturelle et journalistique en Suisse. Elle mettrait en péril le pluralisme de l’information, pilier de la démocratie. La SSR doit disposer de moyens suffisants pour assurer une offre journalistique diverse, de qualité et équivalente dans toutes les régions linguistiques, en particulier en Romandie, au Tessin et aux Grisons. Tout comme l’offre de radios et TVs locales et régionales qui peut s’appuyer sur la redevance, ce sont les programmes en matière de divertissement et de sport de la SSR qui sont menacés par l’initiative. Alors qu’il rayonne toujours plus au niveau international, le cinéma suisse (documentaire et fiction) paierait lui aussi un lourd tribut si elle était acceptée.

Combinée à la baisse de la redevance pour les ménages, l’exonération totale des entreprises – un des points les plus controversés de l’initiative – entraînerait des suppressions massives d’emplois à la SSR (plusieurs milliers) et chez les fournisseurs externes. Anticipant les exigences d’un marché très concurrentiel, la SSR a par ailleurs déjà annoncé des mesures d’économies drastiques, incluant des suppressions d’environ 250 emplois d’ici 2028.

Les grandes entreprises bénéficient des infrastructures de télécommunication et de l’information économique et politique de qualité offertes par le service public. Il est logique qu’elles contribuent à ce financement, même si elles ne consomment pas directement les contenus. Le Conseil fédéral a de plus proposé d’exonérer les entreprises réalisant moins de 1,2 million de francs de chiffre d’affaires (au lieu de 500 000 francs aujourd’hui), couvrant ainsi une grande majorité des sociétés, mais conservant la contribution des plus grandes d’entre elles.

La concentration médiatique est une préoccupation majeure en Europe et un enjeu citoyen auquel la Suisse n’échappe pas. Elle représente une menace directe pour le pluralisme de l’information et mine les fondements de la démocratie. La tendance la plus alarmante en Europe est la concentration diagonale. Des propriétaires de grands groupes industriels ou financiers acquièrent des médias pour influencer le débat public et protéger leurs autres intérêts économiques. La réduction du pluralisme a pour corollaire la baisse de la confiance dans les médias.

Le risque est que l’information serve des intérêts privés plutôt que l’intérêt général

Le risque est que l’information serve des intérêts privés plutôt que l’intérêt général. Le contraste entre la concentration dans le secteur privé et le rôle d’équilibre joué par le service public (SSR) est le principal argument contre l’initiative. En Suisse, bien que le danger soit moins lié à une ingérence politique directe, la concentration est déjà très forte dans la presse écrite régionale et l’édition (voir par exemple les coupes répétées opérées chez TX Group).
Dans un paysage médiatique privé concentré, fragmenté et soumis aux intérêts économiques ou aux algorithmes étrangers (GAFAM), la SSR est le seul contrepoids institutionnel et la seule source d’information garantie par un mandat de service public.

L’ère des médias sociaux et de l’intelligence artificielle facilite la désinformation. Elle rend la vérification des faits et le journalisme d’investigation coûteux encore plus vitaux. Une SSR fortement financée (au-dessus des 200 francs) est indispensable pour avoir les moyens (personnel et technologie) de rester la référence en matière de fiabilité et de résister aux flux de désinformation, ce que les médias privés en crise ou les plateformes étrangères ne peuvent pas garantir. En conclusion, l’initiative «200 francs, ça suffit!» porterait un coup fatal au principal rempart contre la concentration médiatique et la fragmentation démocratique, dont les effets les plus alarmants se manifestent déjà, notamment chez nos voisins européens. C’est pourquoi il faut s’opposer à l’initiative SSR le 8 mars prochain.

* Conseiller municipal et député suppléant, PS, Genève.