Les patient·es chroniques, surtout dans le grand âge, ont besoin d’un certain continuum dans la prise en charge. D’où l’importance de filières de soins – pour traiter au bon endroit et avec le plateau technique adéquat, mais aussi le savoir-faire du personnel soignant non seulement en fonction de la gravité du tableau clinique du ou de la patient·e, mais aussi en prenant en compte aussi sa situation globale, médico-psychosociale. L’idée des filières de soins centrées sur les patient·es âgé·es vise à répondre à leurs besoins spécifiques. Elles impliquent une prise en charge personnalisée, de l’évaluation complète des fonctions physiques, cognitives et sociales, jusqu’à la coordination des soins et la réadaptation, souvent à travers une collaboration étroite avec l’entourage.
De manière générale, en particulier en Suisse romande, un effort certain a été fait pour mettre en place ces filières depuis déjà de nombreuses années: un grand nombre de services s’effectuent à domicile – des soins prescrits par un médecin, modulables selon les capacités de la personne âgée, à ceux assurés par les institutions de maintien à domicile, passant par la livraison de repas chauds, des suivis de physiothérapie ou même des rendez-vous de coiffure ou de pédicure, etc.
Dans les soins médicaux, il y a les médecins-traitants, les hôpitaux de soins aigus (lits A), ceux de réhabilitation (lits B), les centres de «transition» et si nécessaire les EMS (lits C), sans oublier les centres de jour. Chacun·e devrait trouver, après une analyse multidisciplinaire, ce dont il ou elle a besoin et envie: c’est là que la discussion avec le ou la patient·e et sa famille est importante.
L’exemple vécu récemment par une connaissance est intéressant. Il s’agit d’une presque centenaire qui vit à domicile. Elle a «toute sa tête», mais a besoin d’aide pour sa toilette et se fait livrer des repas une fois par jour. Un jour, ses proches la trouvent moins bien, ce que confirme l’infirmière, qui les incite à appeler une ambulance pour l’emmener aux urgences (c’est forcément le week-end!). Là, la patiente est placée sur un fauteuil et attend quatre heures. Au bout desquelles elle est prise en charge pour un «choc septique» lié à une infection urinaire.
Elle surmonte l’épisode grâce aux soins prodigués et, après une semaine, encore affaiblie, se voit annoncer par le service de médecine qu’elle est placée en «lit C» sans changer forcément de lieu; ce qui implique qu’elle doit signer des papiers attestant qu’elle accepte ce changement administratif (avec le fait que les frais engendrés par son séjour ne sont de loin plus couverts par la LAMal). Elle demande alors d’être de préférence transférée dans un centre de «transition» proche de chez elle. (Etonnamment, et sans discussion possible ni franche explication, on ne lui propose pas d’aller dans un centre de réhabilitation.) On lui fait, par contre, comprendre que cela dépendra des disponibilités du canton et, le lendemain, on lui annonce qu’elle est envoyée ailleurs, à l’étage «spécialement dédié aux lits C» d’un autre hôpital. Là, elle reste deux jours, puis on l’envoie encore ailleurs dans le canton. En discutant avec sa compagne de chambre, elles se rendent compte que chacune voulait aller dans l’établissement où l’on envoyait l’autre (!), mais qu’il n’était plus possible de changer.
Finalement, après quelque trois semaines de convalescence dans un «home médicalisé» (c’est ainsi qu’il est signalé), où ma connaissance reprend force et confiance, une réunion entre l’équipe multidisciplinaire, la patiente et sa famille est organisée et un retour en douceur à la maison est planifié d’un commun accord, accompagné du support nécessaire. Donc, tout va bien.
L’analyse de ce parcours de soins montre que ceux qui ont l’habitude d’accompagner des personnes du grand âge réussissent à concevoir les problématiques dans leur ensemble et à chercher des solutions qui conviennent aux patient·es et à leur famille ou proches-aidants. En revanche, dans les unités de soins aigus, on continue à «voir la maladie somatique à soigner» (ce qui est nécessaire), mais on peine à saisir la globalité de la situation. Est-ce logique de laisser quatre heures une patiente quasi centenaire sans un examen médical et de découvrir «tout à coup» qu’il y a un choc septique? Et pourquoi l’envoyer dans un lieu où elle ne reste que deux jours?
Il y a bien une filière de soins, mais sa partie aiguë n’est pas centrée sur le patient, elle répond avant tout à des critères économiques. La pression sur les hôpitaux de soins aigus est telle qu’on en arrive à trouver normal de déplacer une patiente pour deux jours de transition sans tenir compte que ces changements ne favorisent pas la récupération. Un peu plus d’humanité dans cette première phase ne serait pas si difficile à mettre en place: il s’agit plus de sensibilisation à l’accompagnement d’une personne âgée qu’autre chose et d’oser parfois sortir des algorithmes imposés par les administrations et les assureurs.
Et dans toute cette histoire le médecin-traitant a été complètement court-circuité –(une autre problématique dont j’ai déjà parlé1> lecourrier.ch/2025/04/25/repenser-les-soins-primaires-ou-de-premier-recours-dans-nos-regions/): jamais il n’a été consulté – pas même à la sortie!
Notes