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Dans l’œil des super typhons

Le mouvement anti-corruption initié après le scandale des travaux fictifs sur la gestion des inondations prend de l’ampleur aux Philippines. Pendant ce temps, UBS seconde les grandes manœuvres des oligarques du gaz naturel liquéfié (GNL), dont l’affairisme et le coût climatique sont pointés du doigt. Eclairage de Guillaume Durin, de BreakFree Suisse.
Philippines

Sous la pression des Etats-Unis de Donald Trump, et de pays fournisseurs comme le Qatar ou l’Australie, l’Asie du Sud-Est se couvre de centrales à gaz liquéfié (GNL). Plusieurs conglomérats participent à l’assaut. Aux Philippines 1>Des dizaines de milliers de Philippin·es ont défilé dimanche pour dénoncer la corruption et le clientélisme dans l’archipel., trois magnats ont reçu cette année l’autorisation de conclure un accord sans précédent, facilité par UBS, vers la création d’un hub gazier géant. Chromite Gas Holdings, copropriété des hommes d’affaires Sabin Aboitiz (Aboitiz Power) et Manuel Pangilinan (Meralco PowerGen), a injecté 3,3 milliards de dollars USD dans trois firmes jusqu’ici contrôlées par San Miguel Corporation (SMC) du milliardaire Ramon Ang – South Premiere Power, Excellent Energy Resources et Ilijan Primeline Industrial Estate.

Ramon Ang, troisième fortune du pays, est à la tête d’un empire industriel impliqué dans la production agroalimentaire, célèbre pour ses bières San Miguel, la gestion d’infrastructures de transport et la production d’énergie. Ayant été le protégé de l’homme d’affaires et parlementaire Eduardo Cojuangco Jr qui lui a laissé les rênes de SMC, Ang est très proche des cadres de son parti – l’influente Nationalist People’s Coalition (NPC), aujourd’hui alliée du parti du président Ferdinand Marcos Junior. Plusieurs élus NPC possèdent des parts de SMC voire siègent au sein de son conseil d’administration.

Le milliardaire Sabin Aboitiz, dont le groupe est implanté dans les secteurs de l’énergie, des activités bancaires, des télécoms, des data centers, de l’immobilier et du transport, dispose d’une forte influence au plus haut niveau de l’Etat. Nommé par Ferdinand Marcos Jr, il dirige le club des magnats de l’économie philippine, organe de conseil présidentiel. Sa stratégie d’expansion passe depuis 2021 par le GNL et l’hydrogène, via sa filiale Aboitiz Power.

L’ancien banquier Manuel Pangilinan, connu lui aussi pour sa proximité avec Marcos Jr, dirige la Metro Pacific Investments Corporation qui gère de nombreuses infrastructures dans le pays. Il est un soutien actif de la politique de revendication territoriale offensive face à la Chine qu’incarne le fils de l’ancien dictateur.

L’accord conclu entre les trois oligarques leur permet de développer la centrale LNG d’Ilijan, de 1278 mégawatts, construite et opérée par SMC dans la province de Batangas, à 130 km au sud de Manille, et de déployer un projet de centrale de 1320 MW. Ilijan, bordant l’une des zones maritimes les plus biodiverses du monde, le Verde Island Passage, sert désormais de hub gazier pour la principale île des Philippines. La centrale a reçu en 2023 le premier supertanker de gaz liquéfié importé par le pays.

Ce partenariat LNG géant a été facilité par la branche singapourienne d’UBS, conseillère financière d’Aboitiz Power et de Meralco, dont elle est un partenaire plus global. En équipe avec Morgan Stanley, elle vient par exemple d’introduire en bourse et de soutenir Maynilad Water Services, propriété de Pangilinan et gestionnaire de l’eau dans l’ouest du grand Manille. UBS est également partenaire de SMC. Selon l’ONG Urgewald, sa division «gestion d’actifs» se situe au second rang des investisseurs européens dans le groupe4, tandis que l’actuel responsable financier de San Miguel a été le directeur exécutif d’UBS Investment Bank Hong Kong de 2002 à 2006.

Dans la bouche de leurs promoteurs, ces grandes manœuvres se font au nom de la «transition énergétique», alors que la chaine de valeur du GNL est hautement émettrice de gaz à effet de serre, et qu’une large coalition d’ONG dénonce l’irrespect des droits des communautés locales et les atteintes à la biodiversité marine unique du Verde Island Passage.

Aujourd’hui, l’une des questions principales est de savoir combien de temps la population de l’archipel balayé par des typhons de plus en plus intenses, qui s’est initialement soulevée pour dénoncer la corruption entourant les travaux d’adaptation au changement climatique, mettra pour s’en prendre aux montages politico-financiers dont elle va devoir payer les coûts exponentiels.

breakfreesuisse.org