Le 18 septembre, Survap a organisé une table ronde afin de s’interroger sur la légitimité de la violence de l’Etat. Cet événement faisait suite à l’intervention de la police dans le quartier des Pâquis le 13 mai dernier, au cours de laquelle un policier avait utilisé son arme à feu sur un homme, décédé sur place des suites de ses blessures1> lecourrier.ch/2025/05/15/quelles-alternatives-au-tir-de-police; ndlr. Ce grave incident a eu lieu en pleine journée, entre une crèche et une école primaire. Les habitant·es des Pâquis en ont été profondément choqué·es, d’autant qu’aucune information n’a été communiquée par les autorités judiciaires sur les circonstances précises de l’intervention en question, ni sur l’identité de la victime. Les participant·es à la table ronde – un collectif travaillant sur les violences policières, un avocat, un psychiatre, une délégation de la Commission Nzoy et Alain Riesen – ont été invité·es à interroger la légitimité de la violence de l’Etat, particulièrement face à des situations de grande précarité sociale et psychique.
Alain Riesen: Dans les années 1970, des luttes se sont développées pour les droits des personnes souffrant de troubles psychiques et pour privilégier leur accueil dans la communauté. Cette politique de soins et d’accompagnement s’est par exemple concrétisée par la mise en place de foyers et de résidences aux Pâquis, et d’accompagnement à domicile.
Dans le canton de Genève, le nombre de lits en psychiatrie aux HUG, tous services confondus, est passé de 700 en 1966 à 257 aujourd’hui2> De Bel-Air à Belle-Idée, deux siècles de Psychiatrie à Genève, t. 2, dir. A. Brulhart, HUG, 2003, p. 340. Chiffres 2025 actualisés.. Les soins dans la communauté se sont considérablement développés, mais il reste encore certains préjugés à déconstruire. La personne souffrant de troubles psychiques est souvent stigmatisée par une représentation de dangerosité et d’incapacité de discernement. Or elle n’est pas plus dangereuse que vous ou moi et sa capacité de discernement, en général, est entière. Alors, comment penser cette violence d’une personne souffrante qui peut se concrétiser, une fois ou l’autre, dans notre quartier?
Chercher à comprendre est une alternative à l’exclusion, accueillir l’autre dans nos communautés est aussi une alternative. J’ai vécu trois fois, en cinquante ans de travail, une situation de crise psychique violente à mon égard. Dans l’une de ces situations, le calme et le dialogue constant de l’équipe ont suffi à désamorcer un risque de passage à l’acte. Dans les deux autres cas, l’intervention adéquate de la police a permis de maîtriser le risque de passage à l’acte. Bien sûr, la police ne tire pas à chaque situation de risque majeur de passage à l’acte violent. Encore heureux.
Mais le drame vécu aux Pâquis est le signe que la montée des violences sociales et politiques que l’on observe aussi dans notre pays – notamment la situation critique dans le canton de Vaud3> lecourrier.ch/2025/08/31/lausanne-en-blanc-pour-marvin; ndlr – est grave et doit nous mobiliser. Il faut en débattre systématiquement, agir pour défendre les victimes et demander des comptes et de la transparence aux autorités administratives et politiques.
Pour développer le rôle de la communauté comme contre-pouvoir, il faut pouvoir nommer les problèmes auxquels nous sommes confronté·es. J’en désignerai deux. Le premier est l’accroissement des inégalités sociales et économiques. Le deuxième est la désignation, depuis de nombreuses années, de l’étranger, des personnes à l’assurance invalidité ou à l’assistance, etc., comme ennemies de notre prospérité. Le profilage des personnes racisées et le délit de faciès sont devenus habituels. La prolifération régulière et systématique de ce racisme rampant et de ces discriminations provoque des effets de violence et de rupture sociale. Le corps de police, comme d’autres institutions d’Etat, en est bien sûr aussi imprégné.
Un contre-pouvoir possible a été la création, il y a quinze ans, du collectif Bien vivre aux Pâquis. Il s’agit d’une alliance entre des institutions du quartier et des associations d’habitant·es, un lieu de réflexion, qui pense le quartier et qui agit. Nous avons pensé le quartier sur trois axes: la prévention, l’intégration et la sécurité, dans un esprit de solidarité et de réponse aux besoins prépondérants des habitant·es des Pâquis, c’est-à-dire les questions du logement, de la mobilité, de la végétalisation, de la vie sociale, etc. Concrètement, il s’agit par exemple d’actions non-conventionnelles comme l’occupation et la végétalisation de la rue de la Navigation, le dégrappage de cinq places de parking et la végétalisation à la rue des Pâquis, mais aussi de la collaboration avec les autorités pour développer [des projets comme] la Croix-Verte4> lecourrier.ch/2025/10/29/aux-paquis-un-long-chemin-de-croix; ndlr et rendre vivantes les rues fermées.
Avec le groupe Rues vivantes, nous avons mis en place sur la rue de Berne l’Akabane, un espace de jeux pour les enfants, ainsi que le Café Ephémère, où nous engageons des jeunes du quartier, salarié·es pour leur travail au café en faveur des familles et des habitant·es. Nous avons également agi pour défendre le logement social à la rue Royaume.
La communauté, les associations, les collectifs ont un rôle central pour mettre en valeur la richesse, parfois complexe, de la représentation de quartier et de sa vision plurielle. Il est possible de résister à la logique d’équivalence pauvreté-problèmes-répression en s’organisant collectivement, en créant du commun et des espaces d’autonomie, en interpellant les pouvoirs publics et en faisant entendre nos propres récits.
Notes