Skip to content

Le Courrier L'essentiel, autrement

Je m'abonne

Il n’y a pas de feu sans fumée

Fin du monde et petits fours

Ce n’est pas très original, mais à l’image des centaines d’articles de presse et publications sur les réseaux sociaux ces derniers jours, je vais également débuter cette chronique en me référant à l’incendie qui s’est déclenché jeudi dernier au centre de conférence de Belém au Brésil, où avait lieu la Conférence onusienne annuelle sur le climat (COP30). Ce qui m’intéresse c’est moins la symbolique des flammes qui ont ravagé une partie du bâtiment que celle de la fumée qui s’est engouffrée dans les halls, les stands et les salles de négociations de la «Blue Zone».

Car force est de constater que l’enfumage est allé bon train sur les rives du Rio Guamá ces deux dernières semaines. Les enfumeurs en chef sont sans conteste les pays développés, Union européenne (UE) en tête. Ils ont déployé un florilège de tactiques pour enrayer le processus de négociations et simultanément se dépeindre en champions de l’action climatique. Avec l’aide et/ou la complaisance de think tanks, de «leaders d’opinion», de membres de la présidence brésilienne, d’experts en communication et, de toute évidence, de certains journalistes, ils ont réussi à focaliser l’attention du monde entier sur un seul sujet: l’inclusion dans le texte de négociation d’une référence à une «feuille de route sur la sortie des énergies fossiles». Au lendemain de la COP, un rapide coup d’œil aux gros titres des journaux suffit à s’en rendre compte. La non-référence aux énergies fossiles dans le texte final est le point mis en avant pour qualifier la COP30 d’échec.

En faisant de l’inclusion d’une référence aux énergies fossiles (qui, signalons-le, n’était pas à l’agenda de la COP) un enjeu déterminant des négociations et de leur interprétation, et en menaçant même de les faire capoter si elle ne figurait pas dans la décision finale, l’UE et ses amis se sont donné le beau rôle. Ils se sont dépeints en chevaliers blancs de l’ambition, en défenseurs de la science et de l’Accord de Paris, en modèles de vertu climatique.

Ils ont aussi – et peut-être surtout – détourné les regards de sujets qui fâchent mais qui sont pourtant prioritaires et essentiels; des sujets moins tapageurs mais qui renvoient une image fort peu reluisante de ces autoproclamés champions de l’action climatique. Je pense notamment à la question de la finance climatique, et au fait que COP après COP (et la COP30 ne fait pas exception), les pays riches bloquent systématiquement tout véritable progrès et rechignent à mettre la main à la poche pour aider les pays les plus vulnérables – les premières victimes et les moins responsables – à s’adapter et à décarboner leurs économies.

Ne pouvant plus se cacher derrière les Etats-Unis, absente de la COP, il fallait trouver d’autres subterfuges. Sachant pertinemment que l’inclusion d’une référence à la sortie des énergies fossiles provoquerait une levée de boucliers chez les pétro-Etats et les pays pauvres dépendants au gaz, au charbon et au pétrole, l’UE et ses alliés ont focalisé toute l’attention sur les méchants pays bloqueurs. Aux oubliettes le fait que plusieurs membres de cette «coalition de l’ambition» font partie des plus gros producteurs et exportateurs d’hydrocarbures. Pire, et très loin de «sortir» des énergies fossiles, ils accroissent même leur production ces dernières années. Comme nous le rappelle l’ONG Oil Change International, les exportations de gaz et de pétrole de l’Australie, du Canada et de la Norvège ont fortement augmenté depuis la COP de Paris en 2015. Comme dirait l’autre: «Drill, baby, drill!»… mais avec ambition!

Et lorsqu’ils n’exportent pas directement des hydrocarbures, ils en importent en quantités astronomiques et hébergent, à l’image de la France avec Total ou du Royaume-Uni avec Shell, les sièges sociaux des principales compagnies pétrolières du monde (soulignons au passage que Patrick Pouyanné, le PDG de Total, faisait partie de la délégation française à Belém).

Restons lucides. Ne nous laissons pas berner par le récit des pays riches et de leurs porte-flingues. Si nous ne sommes pas là où nous devrions être. Si nous n’avançons pas assez vite. Si le multilatéralisme climatique piétine. Ce n’est pas tant dû à l’absence de tel ou tel mot dans le texte final d’une COP mais bien à l’hypocrisie des pays développés; pays développés qui refusent systématiquement de faire leur part de l’effort et de délier leur bourse, et qui, bien aidés – il faut le souligner – par certains grands médias, s’affichent tranquillement comme des modèles de vertu.

Une fois la fumée dissipée, on prendra peut-être conscience de la supercherie. On verra peut-être aussi que, malgré les tentatives de blocage et la mauvaise foi crasse des Européens et de leurs alliés, et grâce aux efforts des ONG environnementales, des syndicats, des peuples autochtones, des organisations féministes et de la jeunesse, la COP30 a débouché, contre toute attente, sur des avancées notables et concrètes – je pense notamment à la décision sur la transition juste. C’est sans doute insuffisant mais ça montre néanmoins que, contrairement à l’hypocrisie, la lutte pour la justice, elle, finit toujours par payer.

Edouard Morena est maître de conférence en science politique à la University of London Institute in Paris.

Chronique liée